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lundi 31 janvier 2022

Le rôle de la France dans la libération de la Grèce de l'emprise turque

1797 : le traité de Campo-Fiormo, signé à l'issue de la première campagne d'Italie de Bonaparte, attribue à la France les îles Ionniennes (dont Corfou et Ithaque), ancienne propriété de Venise.

1820 : la Vénus de Milo est découverte, puis transférée au Louvre. Le phihellénisme français est d'abord littéraire. Tout le romantisme français s'engage derrière la Grèce, berceau de la civilisation européenne : Vignu, Musset, Victor Hugo, Chateaubriand…

1821 : la Grèce s'insurge contre l'oppression otttomane qui dure depuis la chute de Byzance, en 1453. L'évêque de Patras, Germanos, donne le signal de l'insurrection générale. Les insurgés attendent une intervention de l'Europe. Mais Metternich, chantre de la Sainte-Alliance, qui réunit les vainqueurs de Napoléon, s'y oppose. La victoire grecque aurait amorcé un éclatement de l'Empire ottoman dont les conséquences auraient compromis l'équilibre européen.

Les mains libres, le sultan de Constantinople entreprend de noyer dans le sang l'insurrection grecque et fait appel au pacha d'Egypte, Méhémet-Ali. Les atrocités se multiplient.

1822 : massacre dans l'île de Chios (23 000 morts, 42 000 habitant réduits en esclavage)

1824 : Lord Byron, parti combattre les Turcs, meurt des fièvres à Missolonghi.

1825 : un colonel français, Charles Nicolas Fabrier, qui s'était illustré à Wagram et à la Moscowa, prend le commandement des troupes grecques existantes, en plein déliquescence.

1825-26 : 12 000 combattants sont exterminés à Missolonghi.

1827 : une flotte française, une flotte britannique et une russe se retrouvent dans la baie de Navarin, dans le Péloponnèse. La flotte turco-égyptienne, commandée par Ibrahim Pacha, est détruite. La guerre est engagée entre l'Europe et l'Empire ottoman. Les Britaniques, qui craignent un effondrement des Turcs au profit de la Russie, se refusent à intervenir.

1829 : les Russes obtiennent Everan et les portes fortifiées de l'Arménie, les bouches du Danube et l'ouverture des Détroits. Le traité d'Andrinople reconnaît un Etat grec indépendant.

dimanche 5 septembre 2021

Sur la Commune de Paris

"(…) La défaite de l’armée de Napoléon III contre celle de la coalition allemande, à Sedan, le 2 septembre 1870, a provoqué la chute de l’Empire. Le 4, la République est proclamée à Paris par un gouvernement provisoire de « défense nationale ». La capitale est soumise à un long siège rigoureux et le républicain Jules Favre se résout à signer, le 26 janvier 1871, un armistice avec le chancelier Bismarck : la France reconnaît sa défaite. Une assemblée législative est élue. Sa majorité, monarchiste, favorable à la paix, réunie à Bordeaux le 17 février, investit comme chef du pouvoir exécutif le plus expérimenté de ses députés, un ancien président du Conseil de Louis-Philippe, Adolphe Thiers, 73 ans.

À Paris, l’opinion, radicalisée par les rigueurs du siège, conteste le choix électoral du pays. On réclame une “commune” avec de larges pouvoirs. Le 31 octobre 1870, déjà, l’extrême gauche a tenté un soulèvement. En réaction au vote de l’Assemblée nationale, bientôt transférée de Bordeaux à Versailles, qui a décidé, le 13 mars, la fin du moratoire des dettes et des loyers ainsi que la suppression de la solde journalière de 30 sous versée à chaque garde, surgit la Garde nationale, milice de la capitale. Elle élit un “comité central”, en concurrence de l’Assemblée élue. La tentative, le 18 mars, de l’armée régulière de s’emparer de 230 canons de la Garde déclenche le soulèvement de l’Est parisien. Deux généraux, Lecomte et Clément-Thomas, sont lynchés par la foule. L’insurrection s’étend.


Le 22 mars, une manifestation des Amis de l’ordre, partisans du gouvernement légitime de Versailles, essuie les tirs de la Garde nationale, quartier de l’Opéra. Effrayée par “la terreur rouge”, la population des quartiers bourgeois de l’ouest fuit la capitale. Le Conseil de la Commune est élu le 28 mars par une ville à moitié déserte. Des “Communes” proclamées dans quelques villes de province, Lyon, Marseille, Narbonne, Le Creusot, ne durent qu’une poignée de jours. Au contraire, la Commune de Paris va tenir soixante-douze jours. Le 5 avril, elle prend le sinistre “décret des otages” : « Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d’accusation et incarcérée. » Toute exécution par le camp d’en face d’un « partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages »… Son application sera limitée, faute de prisonniers et sans doute aussi à cause de la désorganisation du pouvoir insurrectionnel.

Même si la Commune proclame, dans sa « déclaration au peuple français », « la liberté de conscience », les partisans et disciples du socialiste révolutionnaire Auguste Blanqui (fait prisonnier par le gouvernement Thiers) saccagent des églises et arrêtent des moines. À l’église Saint-Laurent, les plus enragés exhument des squelettes dans la crypte qu’ils exposent à la foule comme des victimes des curés. Les biens des congrégations religieuses sont saisis. Les communards en armes, honorés par la mythologie révolutionnaire, subissent un jugement plus sévère des témoins contemporains. Pour l’écrivain Maxime du Camp, « c’était une multitude indisciplinée, raisonneuse, que l’alcoolisme ravageait ». « La niaiserie semblait marcher de pair avec la violence », résume Edmond de Goncourt.


La gauche a imposé une amnésie sélective sur cet héritage. À côté des principes qui seront repris par les IIIe et IVe Républiques (la laïcité, l’éducation gratuite, la protection sociale en cas de maladie et de chômage, une journée de travail limitée à dix heures dans certains ateliers, un salaire minimal, l’égalité salariale entre les sexes… ), la parenthèse révolutionnaire a développé d’autres revendications contraires à nos traditions et même au patriotisme dont se revendique le mouvement : l’élection des fonctionnaires et magistrats, la suppression de l’armée permanente, la suppression de la préfecture de police de Paris, le mandat des élus impératif et révocable.


À l’intérieur, les radicaux l’emportent. Le 1er mai, à l’initiative d’un vieux militant jacobin, Jules Miot, un “comité de salut public” est instauré : 45 membres du Conseil ont voté en sa faveur contre 23 qui, un temps, vont cesser d’assister aux séances. De son côté, l’armée du gouvernement régulier s’est réorganisée : les prisonniers de guerre, libérés par les Allemands, ont rejoint ses rangs. Paris est encerclé. Le 21 mai, l’ouest de la capitale est reconquis. Commence la Semaine sanglante qui oppose les 130 000 hommes du général de Mac Mahon à plusieurs dizaines de milliers de communards. Au soir du 22 mai, la ligne de front va du quartier de Saint-Lazare à celui de Montparnasse.


Contraints de reculer vers l’est, les partisans de la “révolution sociale” se retirent dans un sillage de destruction. Un premier incendie est allumé à l’angle des rues Royale et Saint-Honoré. La colonne Vendôme a été abattue. Sur la rive gauche, la chancellerie de la Légion d’honneur, les hôtels particuliers (pillés) de la rue de Lille, le palais d’Orsay, siège de la Cour des comptes, la Caisse des dépôts sont minés et détruits. « La Commune a employé le feu strictement comme moyen de défense », écrira Karl Marx. « Du passé, faisons table rase… », le verset de l’Internationale, composée en juin par le communard Eugène Pottier, prend tout son sens.


À la question « Que fait-on du palais des Tuileries, l’antre du césarisme ? » le délégué civil à la guerre, Charles Delescluze, rétorque : « Le feu, le feu, le feu partout ! » François Jourde, responsable des finances, avait prévenu : « Si nous sommes vaincus, nous brûlerons Paris. » Le Palais-Royal est incendié comme le Palais de justice. Mais aussi la Bibliothèque impériale, l’Hôtel de Ville, le grenier à blé du bassin de l’Arsenal, la manufacture des Gobelins…


Au soir du 24 mai, Edmond de Goncourt voit dans Paris en flammes « une éruption du Vésuve sur une feuille de papier noir ». Pour Émile Zola, la Seine est une rue « brûlant aux deux bords d’une chaussée de lave » et la Cité « un soleil de sang sur une mer sans borne ». Le Louvre n’échappe à la destruction que grâce à l’énergie du conservateur Barbet de Jouy. Le 24 encore, des insurgés allument un bûcher au sein de Notre-Dame, sauvée par l’intervention des internes de l’Hôtel-Dieu.


Le 28 mai, la dernière barricade tombe. L’ordre est rétabli dans un Paris ravagé. L’ampleur de la répression (8 000 morts durant la Semaine sanglante selon l’historien britannique Robert Tombs, 4 467 condamnés à la prison, 8 000 déportés) est à la mesure de la peur qu’a inspirée l’insurrection.

Paradoxalement, c’est dans cet écrasement impitoyable que la Commune puisera son mythe le plus fort. Les vaincus ont imposé leur légende."


(extrait d'un article de Jean-Michel Demetz, in Valeurs Actuelles , 12/08/2021)

lundi 2 août 2021

Sur Louis XVI

"Lors de sa naissance en 1754, Louis-Auguste, duc de Berry, est troisième dans l’ordre de succession au trône. 

Ses parents sont ce que l’on appelle alors des dévots, des catholiques austères mais sincères. Son père lui inculque le respect des humbles, lui fait partager le repas des paysans et même labourer un champ.


Il maîtrise le latin à l’âge de 13 ans (…) Il parle l’italien et l’espagnol, possède quelques éléments d’allemand, et surtout se débrouille en anglais, au point de lire dans le texte Shakespeare, le philosophe Hume ou les historiens Gibbon et Walpole (…) il excelle en mathématiques, ce qui lui donne l’accès à la cartographie, à la navigation océanique, à la géographie, mais aussi aux questions de finances publiques.


En fait, le roi, les ministres, la cour, s’intéressent aux philosophes et au besoin les protègent. Ces derniers prônent des réformes mais dans le cadre de la monarchie, le seul système qui leur paraît adapté à un grand État. La vraie question, qui court dans tous les partis, serait plutôt de savoir quelle monarchie.

Deux modèles sont en concurrence : la monarchie parlementaire anglaise et la monarchie absolue “ éclairée ” prussienne ou russe (…) Mais l’opinion regimbe. À 13 ans, dans un petit livre de Réflexions écrit à la requête de son précepteur, le duc de La Vauguyon, Louis-Auguste, le futur Louis XVI, a noté : « Je dois toujours consulter l’opinion publique, car elle ne se trompe jamais. »

Devenu roi à 19 ans au printemps 1774 -son grand-père a été emporté par la variole en dix jours -, il rappelle les parlements. On l’acclame.


Hardman note qu’il est beaucoup plus fasciné par l’Angleterre que par les puissances continentales…


La crise révolutionnaire est surtout due à des difficultés de trésorerie : la guerre d’Amérique a ruiné l’État. À cela s’ajoute en 1786 un scandale : l’affaire du Collier, qui porte atteinte à la réputation de la reine. Une grande partie des élites conspire alors contre le roi et ses ministres, pour défendre ses intérêts. L’historien Bernard Faÿ parle d’une “ triple trahison ” : celle de la noblesse, celle du duc Philippe d’Orléans, prince du sang, qui rêve de remplacer Louis sur le trône, et celle des parlements."


(extraits d'un article de Michel Gurfinkiel dans Valeurs Actuelles, 22/07/2021)

mardi 1 juin 2021

Il y a 100 ans, Péguy regrettait déjà la « démystication » de la France

«Aussitôt après nous, commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil. Aussitôt après nous, commence ce monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. (…) Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent. 

Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre, le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même, un seul mouvement profond de démystication (…) 

Le débat n’est pas entre les héros et les saints ; le combat est contre les intellectuels, contre ceux qui méprisent également les héros et les saints (…) Le combat est contre ceux qui haïssent la grandeur même, qui haïssent également l’une et l’autre grandeur, qui se sont fait les tenants officiels de la petitesse, de la bassesse, et de la vilenie… »


(Charles Péguy, in Les Cahiers de la quinzaine, 1910)

jeudi 27 mai 2021

Extrait d'un entretien avec Patrick Buisson

(…)

- Nous payons, écrivez-vous, le prix de la liquidation du monde ancien et des dérégulations massives qui ont suivi mais, paradoxalement, le monde ancien n’est-il pas en train de resurgir de façon inopinée ?


- C’est très précisément la bonne nouvelle que porte la pandémie. Ce que les Français ont applaudi, chaque soir à 20 heures, à travers le personnel hospitalier et tous les premiers de corvée qui ont tenu la France à bout de bras, ce sont les valeurs du monde d’avant, celles que la mondialisation et la globalisation avaient décrétées obsolètes autant qu’indésirables : la gratuité, l’entraide, la solidarité, le don de soi, le dévouement au bien commun. Ce qu’ils ont plébiscité, ce sont les valeurs du monde de la dette et du devoir contre celles du monde du dû et du droit. Le monde des débiteurs contre le monde des créanciers. Bref, l’antithèse absolue de ce nouveau monde dont Emmanuel Macron s’était fait, lors de sa campagne de 2017, le chantre enthousiaste et l’habile fondé de pouvoir.


- La crise sanitaire a-t-elle mis en échec l’idéologie du progrès ?


- La foire d’empoigne des médicastres et autres morticoles sur les plateaux de télévision, où les sachants ont voulu jouer aux sachems en dépossédant le politique de sa substance et le peuple de sa souveraineté, n’a pas fait que délégitimer la “parole experte”. Elle a mis à nu le dispositif de savoir-pouvoir si bien décrit par Michel Foucault. « L’idolâtrie des moyens, écrivait Bernanos, va toujours de pair avec l’oubli des fins. » Dans le sillage de l’abominable XIXe siècle, le couple abrasif que formaient la science et la technique a voulu s’ériger en finalité. “Plus de science, moins de croyances”, c’était l’antienne des nouvelles idoles. Le Covid nous confronte à un événement régressif que les modernes, embarqués dans leur délire prométhéen, n’avaient pas osé imaginer même dans leurs pires cauchemars. Le grand récit de l’homme émancipé par la science et augmenté par le transhumanisme bute sur une bestiole qui nous ramène cruellement à notre condition de mortels (…)


À la mort de Jean XXIII, de Gaulle a eu ce mot terrible, rapporté par Peyrefitte : « On a toujours tort de donner l’apparence de se renier, d’avoir honte de soi-même. Comment voulez-vous que les autres croient en vous si vous n’y croyez pas vous-même ? » (…)


L’ homo economicus, qui nous est présenté depuis les années soixante comme le modèle achevé de l’aventure humaine, postulait l’éradication de tout ce qui plafonnait les possibilités de bonheur terrestre. D’où la grande offensive culturelle contre la culpabilité d’essence chrétienne qui agissait comme un frein à la jouissance et à la consommation. L’antagonisme radical du marché et du sacré a pris forme à ce moment-là. La télévision s’est chargée de la grande entreprise de rééducation populaire et de lessivage des consciences en dissipant ce que le poète Henri Michaux appelait le « stellaire intérieur ». Jamais une autorité émergente n’aura disposé d’un tel pouvoir pour conditionner les esprits. Jamais soumission à un magistère ne fut aussi totale et instantanée (…)


- Le recul du sacré est-il au cœur de notre relation à l’islam ?


- Évidemment. Comment demander aux musulmans de s’assimiler à une société qui n’est plus approvisionnée en religieux et en sacralité ? Dans les années soixante, l’assimilation était encore possible dans la mesure où subsistait, d’une part, une identité forte et attractive du patriotisme français comme religion séculière et, d’autre part, une proximité morale et symbolique entre l’islam et les valeurs chrétiennes. Ces creusets-là n’existent plus (…)


- À qui la faute ?


- Un certain fondamentalisme républicain est incontestablement à l’origine du processus de radicalisation des musulmans de France. Parce que faute de ressources et d’appareil symbolique pour faire religion à la place de la religion, il s’enferme dans le déni du besoin anthropologique de religieux, dans le rejet de toute dimension sacrée de la vie humaine, le laïcisme n’est pas la solution mais une partie du problème. Sans compter la dérive libertaire, individualiste et hédoniste de la société française qui nourrit chez les musulmans un double sentiment explosif d’infériorité en termes de puissance et de supériorité en termes de civilisation. Comment, face à une société qu’ils jugent décadente et apostate, les musulmans ne se sentiraient-ils pas agressés dans leur être de croyant et leur identité profonde ? L’islam n’est au fond que le miroir qui nous renvoie l’image de tout ce que nous avons perdu, et notamment l’idée même du sacré qui nous est devenue complètement étrangère.


- Vous les comprenez ?


- Nous sommes le seul pays d’Europe où les signes religieux extérieurs sont pratiquement bannis de l’espace public alors que la pornographie de la marchandise et l’obscénité publicitaire s’étalent à tous les coins de rue et sur tous les écrans. J’ai plus de respect pour un musulman qui fait sa prière cinq fois par jour que pour un bobo écolo à trottinette. Plus de respect pour la pudeur d’une femme voilée que pour les lolitas de 13 ans en string. En tant que catholique, je ne me scandalise pas qu’un croyant puisse mettre la loi naturelle au-dessus des lois de la République.


- Alors la guerre civile est inéluctable ?

- Non. Le problème n’est pas tant l’islam que l’immigration. Faute d’assimilation possible, il faut prévenir les risques de conflit par une politique volontariste qui s’attache à réduire, par tous les moyens et de façon drastique, le poids démographique de l’islam en France, tout en laissant les musulmans parfaitement libres de pratiquer leur religion sur le territoire national.


- Quel est pour vous l’ennemi principal ?

- Ce n’est à coup sûr ni l’immigré ni le musulman. Mais bien plutôt la classe dirigeante qui, droite et gauche confondues, a créé, en toute impunité sinon en pleine conscience, les conditions de l’explosion qui nous menace aujourd’hui. Après un honteux déni du réel, on assiste, désormais, à l’émergence d’un nouveau politiquement correct à l’intérieur du politiquement incorrect. Il consiste à donner des gages sur les enjeux de société au progressisme libertaire (infanticide des enfants de neuf mois, euthanasie, PMA-GPA) pour mieux faire passer, sous couvert de lutte contre l’islamisme et l’immigration, un discours de classe contre tous les laissés-pour-compte, les réfractaires et les indésirables de la modernité. Comment ne pas mépriser ce monde de la délation, du lynchage et de la ratonnade médiatique ?


(Entretien avec Charlotte d’Ornellas et Geoffroy Lejeune in Valeurs Actuelles, 6/05/2021)

vendredi 7 février 2020

Deux siècles de liaisons françaises

"« Nous nous sommes tant aimés… » Au cours des deux derniers siècles, la France s’est elle aussi séparée de territoires avec lesquels elle avait noué des relations diplomatiques, économiques et, surtout, affectives.

L’histoire de France est traversée de conquêtes territoriales, tant au sein de ses propres frontières qu’à l’étranger, en Afrique et en Asie. L’État jacobin, au fil de son histoire, a assimilé les régions et leurs particularismes – parfois brutalement, comme ce fut le cas en Bretagne. Puissance coloniale, elle a exporté sa langue, sa culture, ses forces économiques et, bien sûr, sa vision du monde : les Droits de l’homme et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Parfois, ces histoires se sont soldées par des divorces. La Vie décrypte trois exemples de ruptures douloureuses pour notre pays.

L’Alsace-Lorraine : un trophée de guerre

1648 : traités de Westphalie. L’Alsace est rattachée au royaume de France, conséquence d’une lutte militaire et politique menée par Richelieu et Mazarin, qui veulent établir des frontières naturelles (Alpes, Pyrénées et Rhin). Les Alsaciens s’assimilent rapidement. Ils se révèlent très patriotes, à l’image de généraux hors du commun, comme Kléber et ­Kellermann. La région connaît un décollage industriel majeur sous le Second Empire ; elle attise la convoitise du voisin allemand. En 1870, Napoléon III, très malade, se laisse entraîner dans une guerre désastreuse par le rusé Bismarck, dont l’armée est deux fois plus nombreuse. Avec la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870, l’empereur affaibli capitule ; la IIIe République est proclamée le 4 septembre.
Bismarck exige la cession du territoire. Le déchirement est localement si terrible que plus de 150 000 Alsaciens envisagent de quitter le territoire pour Paris, mais aussi pour l’Algérie, récente colonie de peuplement. Les Allemands tentent de conquérir les cœurs en choyant les services publics et en développant les infrastructures médicales et scolaires. Mais le régime autoritaire et militariste déplaît aux Alsaciens.
En 1914, les soldats français veulent reconquérir ce territoire perdu, dont la nostalgie fut cultivée par la République, notamment dans le Tour de la France par deux enfants, manuel scolaire publié en 1877. Les Alsaciens sont incorporés de force dans l’armée allemande, avant de fêter la victoire et le rattachement à la France en 1918. L’administration de la IIIe République reprend place. Le gouvernement, souhaitant encourager le sentiment patriotique très fort des Alsaciens, leur laisse deux spécificités : le Concordat, hérité de Napoléon Ier et conservé pendant l’annexion allemande ; un régime spécifique de Sécurité sociale.
La Seconde Guerre mondiale creuse à jamais le fossé entre Alsaciens et Allemands. Les Alsaciens, en âge de porter les armes, sont mobilisés d’office, ­incorporés dans la Wehrmacht et envoyés sur tous les fronts, obligés de se battre contre la France et ses alliés. Ces « malgré-nous » resteront une blessure intime longue à cicatriser. Le traité de l’Élysée, en 1963, entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, l’établissement du Parlement européen à Strasbourg, les échanges économiques et commerciaux frontaliers et la construction européenne ont progressivement aidé à la réconciliation.

L’Algérie : une si difficile réconciliation

1830. Le roi Charles X est en difficulté avec une majorité libérale qui rejette la royauté. Rien de mieux qu’une guerre extérieure pour consolider sa légitimité ! Alors que le dey d’Alger, sous domination ottomane, reprend ses attaques de navires occidentaux en Méditerranée, le souverain français envoie un corps expéditionnaire de 30 000 hommes de l’autre côté de la mer. Suivent de longues années d’hésitation : que faire de ce territoire ? La II e République, en 1848, tranche la question : l’Algérie est divisée en trois départements rattachés à la France et devient une colonie de peuplement. Cent mille Européens y débarquent : des Français, mais aussi des Espagnols et des Italiens. On leur donne des terres gratuites à défricher. En 1865, Napoléon III propose que les indigènes musulmans, comme on les appelle alors, deviennent eux aussi citoyens français, à condition qu’ils renoncent au droit coranique. C’est un échec : entre 1865 et 1872, seuls 10 000 d’entre eux acceptent.
Sur place, les populations cohabitent sans se mélanger. Le colon français fait œuvre sanitaire en éradiquant les pandémies annuelles de peste, de choléra, de paludisme. Il fait œuvre éducative et apporte des infrastructures. Ainsi, en 1954, on compte 54 000 km de routes, 5 000 de voies ferrées, 14 barrages et une vingtaine de ports. Les « indigènes » combattent pour la patrie pendant les deux guerres mondiales.
Dans les grandes villes, une élite, dont le chef nationaliste Ferhat Abbas, veut croire que le pays des Droits de l’homme finira par leur accorder des droits civiques. Mais l’explosion démographique algérienne, avec 9 millions d’Algériens en 1962 pour 3,4 millions en 1886, oblitère les idéaux universalistes. La victoire de ­l’Allemagne nazie en 1940, comme la perte de l’Indochine, abat le mythe d’une France invincible. Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en 1945 attisent la méfiance des Algériens à l’égard de la puissance coloniale. À l’automne 1954, le Front de libération nationale (FLN) organise des attaques dans tout le pays. C’est le début d’une guerre fratricide, dont il a fallu attendre 1999 pour qu’elle soit nommée « guerre » dans les documents de la République, et non plus de manière euphémique « opération de maintien de l’ordre ». « La France multiplie les erreurs, commente l’historien Dimitri Casali. C’est un gros gâchis, une histoire d’amour et d’amitié trahie et bafouée. »
Début 1962, les pieds-noirs entament leur long exode vers la France. En juillet, les Algériens fêtent leur indépendance. À Alger, à Oran, dans toutes les villes désormais algériennes, aux noms des héros français des guerres mondiales et des symboles du rayonnement culturel – Victor-Hugo, Camille-Saint-Saëns, etc. – se substituent peu à peu ceux des moudjahidin et de figures du monde arabe. Philippeville, Nemours, Orléansville, entre autres, sont débaptisées.
La présence française s’estompe. Mais les conséquences de cette guerre restent vives. Elles se font sentir pendant la décennie noire : dans les années 1990, les attentats s’exportent sur le territoire français. Et alors que le « hirak », vaste mouvement populaire, depuis février 2019, traverse le pays et conteste Abdelaziz Bouteflika et les membres du pouvoir en place, le gouvernement français reste plus que discret, comme tétanisé par ses impérities passées et par ce grand pays africain, dont il fut si proche.

La Serbie : une rupture d’alliance

Entre la France et la Serbie, l’histoire commence au XIXe siècle. Les écrivains romantiques français s’enthousiasment pour ce pays slave orthodoxe des ­Balkans, qui s’est soulevé à plusieurs reprises contre l’oppression turque. Lamartine s’y rend. Hugo signe une célèbre exhortation, Pour la Serbie, en 1876« Où s’arrêtera-t-on ? Quand finira le martyre de cette héroïque petite nation ? »
De leur côté, les élites serbes se piquent de franco­philie, à l’exemple du roi Pierre Ier, engagé dans la Légion étrangère lors de la guerre franco-prussienne, en 1870. En cultivant son amitié avec la Serbie, Paris se rapproche de la Russie, protectrice des Serbes. La Grande Guerre scelle l’alliance des deux peuples. En 1916, la marine française évacue les ­soldats et les civils serbes en déroute. Mêlés à l’Armée française d’Orient, commandée par le général ­Franchet d’Espèrey, les Serbes libèrent leur patrie dans une offensive fulgurante en 1918, qui précipite la fin du conflit. Cette fraternité d’armes a été inscrite dans le bronze du Monument pour la France, inauguré en 1930 à Belgrade. Sur le socle d’une virile statue de Marianne, on peut lire : « Aimons la France comme elle nous a aimés. 1914-1918. »
Moins liée à la France, la Yougoslavie communiste s’effondre en 1991 dans les guerres ethniques. Une défiance apparaît à Paris contre les Serbes, jugés uniques responsables. François Mitterrand refuse cependant de se retourner contre l’allié historique. « Moi vivant, jamais, vous m’entendez bien, jamais la France ne fera la guerre à la Serbie », déclare-t-il lors d’un dîner de gala à l’Élysée, en 1993. Tout change avec Jacques Chirac : la France participe aux frappes de l’Otan contre les Serbes de Bosnie, en 1995, puis contre la Serbie elle-même, en 1999. Un sentiment de trahison inonde Belgrade. Le Monument pour la France est voilé de noir, et le centre culturel français saccagé par la foule, malgré le courage d’étudiants francophiles qui cachent sa bibliothèque. Dès 2000, les relations diplomatiques sont rétablies, mais la plaie affective est profonde. « Pourquoi nous avoir bombardés ? », demande-t-on encore au voyageur français.
Bien que l’amitié franco-serbe soit toujours cultivée dans certains cercles intellectuels et politiques, Paris a reconnu l’indépendance de la province serbe du Kosovo en 2008. Nonobstant sa visite réussie à ­Belgrade en juillet 2019, Emmanuel Macron devra donc fournir davantage de preuves d’amour s’il veut que la France puisse reconquérir le cœur serbe."
(Article d'Olivia Elkaim, avec Piere Joda, in La Vie, 30/01/2020)

mardi 4 février 2020

François Ier

Lorsqu'il monte sur le trône en 1515, François d'Angoulême est déjà bien préparé au métier de roi grâce à sa mère, Louise de Savoir, qui avait observé avec attention la progression de son fils dans la succession au trône et l'incapacité de Louis XII à concevoir un héritier.

Depuis Charles VIII, les rois de France n'avaient cessé de revoir à la baisse leurs ambitions italiennes (…) François Ier échouera à installer durablement sa puissance sur le sol italien (…) Quant à la victoire de Marignan en 1515, si elle a frappé les esprits, c'est parce qu'elle avait l'éclat d'une première victoire et de la jeunesse. Mais outre qu'elle ne fut pas une victoire facile, elle ne contribua guère à asseoir la domination française sur la péninsule (…) Il faut attendre la campagne 1536-1538 pour que les armées de François Ier conquièrent des territoires stratégiques : la Savoie et le nord du Piémont resteront ainsi sous domination française jusqu'en 1559.

Les observateurs étrangers étaient fascinés par la capacité du roi de France à lever autant d'impôts avec le consentement de ses sujets. Longtemps, les historiens ont analysé le règne de François Ier comme le premier pas dans la longue et irrésistible marche vers l'absolutisme de Louis XIV.

Cet antagonisme se cristallise dans les parlements, et singulièrement au Parlement de Paris, dont une des prérogatives est l'enregistrement des lois, c'est-à-dire la vérification de leur conformité avec les lois divines et les lois fondamentales du royaume.
A plusieurs reprises et dans des situations diverses, le roi doit affronter la résistance de parlementaires (…) Les institutions autorisent la formulation de remontrances contre la politique royale, mais le roi est "délié des lois", c'est-à-dire qu'il peut s'affranchir de la loi ordinaire (…) C'est finalement au roi de limiter sa propre puissance sous le regard, voire la pression de ses sujets. Mais les parlementaires ne sont pas seuls à braver le foi : la noblesse entretient une culture du "malcontentement" et François Ier veille à la domestiquer comme il peut. Le conflit qui l'oppose, avec Louise de Savoie, au connétable de Bourbon s'achève par l'exil précipité de ce dernier qui rejoint le camp impérial et choisit de combattre la France. Plus q'une simple trahison, il s'agit d'un des nombreux épisodes de la confrontation entre le roi et la noblesse pour la définition de l'idéologie monarchique.

Mais la captivité du roi après Pavie ne proclame-t-elle pas aussi la force des institutions de la monarchie française, voire leur capacité à se gouverner elles-mêmes ? La monarchie supporte en effet la privation de son roi. En l'absence de François Ier, avec une régente, les institutions travaillent et le royaume, loin d'être à l'abandon, est toujours administré.

Les châteaux de Blois et d'Amboise sont adaptés aux nouvelles nécessités royales. Chambord s'élève, à partir de 1519, sur les terres de Sologne et manifeste, par son plan en croix grecque comme par ses ornements architecturaux, l'exceptionnalité de la monarchie française. Si le roi y séjourna finalement fort peu (sans doute y fit-il une quinzaine de visites, toutes de courtes durées), le chantier mobilisa 1800 ouvriers pendant près de vingt ans.

Briçonnet entretient une correspondance avec Marguerite d'Angoulême, la sœur du roi. c'est une véritable correspondance spirituelle : l'évêque guide la princesse. La protection de Marguerite a sans soute épargné les réformés de Meaux alors que, dès 1521, la faculté de théologie et le parlement de Paris condamnaient les écrits de Luther. mais en 1523, les bibliens de Meaux se séparent : pendant que Briçonnet rentre dans le rang, les plus radicaux de ses prédicateurs rejoignent la réforme luthérienne.

En 1534, François Ier vient en effet d'achever son long "tour de France" qui, pendant deux ans, l'a conduit à visiter de nombreuses villes du royaume et, multipliant les entrées de villes et les fêtes les plus somptueuses, à renforcer les liens qui l'unissent à ses sujets. 1534 (…) fut l'année des Placards (dans plusieurs villes du royaume, et jusque sur la porte de la chambre du roi, des feuilles volantes dénonçant le "Dieu de pâte" furent affichées)…

Après l'affaire des Placards et la publication par Jean Calvin de son Institution de la religion chrétienne, qui s'ouvre par une épître dédicatoire à François Ier, la faculté de théologie dresse une liste de 65 ouvrages condamnés comme hérétiques et publie 29 articles pour "apaiser le flot de diverses doctrines".
En 1545, plusieurs expéditions militaires contre des villages du Lubéron gagnés au protestantisme dont des milliers de morts. Les survivants se réfugient en Suisse (…) A la mort de François Ier, l'unité religieuse du royaume est déjà un souvenir.

Entre 1548 et 1553, Etienne de la Boétie rédige son Discours de la servitude volontaire (…) ce texte repose en fait sur l'observation de la France de François Ier et interroge la nature de la monarchie française.

Léonard de Vinci qui séjourna moins de trois ans en France, ne fut pas la seul préoccupation artistique de François (…) nous savons avec certitude que François Ier n'était pas au Clos Lucé à la mort du grand artiste.

(…) à Marignan, le jeune roi échappa de peu à la déroute ; sans doute, d'ailleurs, collectionna-t-il davantage les défaites (comme aussi les trahisons) que les victoires…

(…) les deux mariages de François Ier étaient des mariages politiques, dictés par la raison d'Etat.

(…) le roi de France gouvernait par conseil et François Ier se plia également à cette tradition.

dimanche 7 avril 2019

Jacques Sémelin : “90% des Juifs français ont échappé à la déportation“


Dans son ouvrage La Survie des Juifs en France, l'historien et politologue Jacques Sémelin explique comment et pourquoi la majorité des Juifs de France ont échappé à la mort sous l'Occupation. Une chronique méconnue.

Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette enquête et combien de temps y avez-vous consacré ?
Cet ouvrage est le fruit d'un travail d'une dizaine d'années. J'ai été encouragé par Simone Veil, que j'ai rencontrée à plusieurs reprises, et par les travaux de Serge Klarsfeld (qui préface l'ouvrage, ndlr). Dans son livre Vichy-Auschwitz, il avait déjà souligné que 75% des Juifs avaient survécu en France à la Shoah, ce qui signifie que sur les 300.000 Juifs que comptait notre pays en 1940, environ 220.000 ont survécu. C'est considérable au regard des hécatombes dans d'autres pays. Bien entendu, on ne peut oublier les 80.000 Juifs exterminés à partir de la France à cause de la collaboration de Vichy. Parmi eux, certains étaient de nationalité française, les autres (la majorité) d'origine étrangère, réfugiés allemands, polonais, tchécoslovaques, hongrois ou roumains. Ce sont ces derniers qui ont le plus souffert des persécutions : 60% d'entre eux ont néanmoins échappé à la mort tandis que près de 90% des Juifs français - qu'on appelait les « Français israélites » - ont survécu à la Shoah.

Ce chiffre est énorme. Comment l'expliquer ?
C'est tout l'objet de mon livre. À dire vrai, il faut prendre en compte de nombreux facteurs. Aussi admirable soit-elle, l'action des 4000 Justes français ne peut suffire à expliquer ce phénomène. Les organisations d'entraide et de sauvetage - juives, chrétiennes ou communistes - ont, de leur côté, secouru quelques milliers de personnes, surtout des enfants.
C'est beaucoup mais, là encore, le compte n'y est pas. En fait, de nombreuses familles juives se sont débrouillées par elles-mêmes, faisant preuve de résilience pour éviter d'être arrêtées. Conscientes de leur vulnérabilité, certaines ont choisi de se séparer et de se disperser. Malheureusement pas toujours. Les Juifs ont aussi acquis de faux papiers et ont fait preuve d'une grande mobilité pour éviter l'arrestation.

D'après votre enquête, cette mobilité a été un élément essentiel de la survie des Juifs dans notre pays...
Oui, même si certains restent chez eux ou pas très loin. Dès l'automne 1940, nombre de Juifs rejoignent la zone libre. Évidemment, cette zone n'a pas été créée pour sauver les Juifs, loin de là, mais ces derniers y ont vu l'intérêt de s'y rendre pour s'éloigner des Allemands. C'est d'ailleurs le cas des responsables des organisations juives. Par exemple, le Consistoire s'installe à Lyon et l'Œuvre de secours aux enfants à Montpellier. Beaucoup de familles sont aussi parties à la campagne, dans des coins reculés, les plus discrets possible. En de nombreux endroits, elles ont été accueillies par la population, cachées dans les fermes, intégrées dans les villages. Cette dissémination et la solidarité qui s'est exprimée sur le terrain expliquent en partie le fait qu'elles aient survécu.

Ce visage de la France et l'attitude des Français pendant la guerre restent pourtant très méconnus.
En effet. Mais maintenant que ce crime de masse de la Shoah est connu et reconnu, le temps n'est-il pas venu de se demander pourquoi tant de Juifs ont survécu dans notre pays ? L'historien Robert Paxton a démontré le rôle de la collaboration de Vichy avec les nazis dans l'arrestation et la déportation des Juifs. Mais son enquête contient un angle mort. Les 400 pages de son livre paru en 1981 (Vichy et les Juifs, coécrit avec Michaël Marrus) sont totalement consacrées à la persécution et au rôle de Vichy dans la déportation des Juifs.

Mais le lecteur doit attendre la dernière page pour découvrir que les trois quarts des Juifs ont en fait survécu. Autant dire que ce sujet a été occulté.
Les Français n'étaient donc pas majoritairement antisémites ?
Il faut ici faire la part des choses. L'analyse de Paxton et de Marrus est exacte du point de vue de la collaboration institutionnelle du régime de Vichy, mais pas sur l'évolution de l'opinion. Si l'antisémitisme existe bel et bien en France, divers travaux montrent qu'il a été moins sévère que ne l'ont cru ces auteurs. D'ailleurs, les « Français israélites » étaient dans l'ensemble bien intégrés à la nation. La France n'a-t-elle pas été le premier pays d'Europe à émanciper les Juifs, en 1791, durant la Révolution française ? Dès lors, les Juifs ont été reconnus comme des citoyens à part entière. À la suite de quoi, beaucoup sont venus, de tout le continent, trouver refuge dans notre pays. À la fin du XIXe siècle, la campagne antisémite contre Alfred Dreyfus a été certes l'expression d'un rejet virulent d'une partie de l'opinion à cette intégration républicaine. Mais, en réaction, nombre de Français ont défendu le capitaine Dreyfus, lequel a finalement été réhabilité en 1906.

D'autres raisons peuvent-elles expliquer cette solidarité de proximité ?
Certainement. Il faut accorder ici une grande importance à la chronologie. À l'été 1942, quand Vichy fait arrêter des femmes et des enfants, l'opinion est choquée. Or, que je sache, les Français sont à cette époque très majoritairement catholiques. Nul doute que l'antijudaïsme soit alors une réalité dans l'Église. Mais il est difficilement supportable que le régime s'en prenne à des femmes et à des enfants. Pour des raisons humaines - humanitaires pourrait-on dire - la compassion l'emporte sur la stigmatisation.
Je cite le témoignage d'une survivante de la Shoah qui, après la guerre, se souvient de ce prêtre qui lui a permis de franchir la ligne de démarcation. Il lui avait déclaré : « Vous savez, je ne fais pas confiance aux Juifs, mais je vais vous aider. » Dans son journal clandestin, François Mauriac lui-même écrit : « À quelle époque a-t-on vu les enfants arrachés à leur mère, entassés dans des wagons à bestiaux, comme je les ai vus ce matin, par ce matin sombre, à la gare d'Austerlitz ? »

Quel a été le rôle, finalement, de l'Église catholique ?
Nul doute que celle-ci se reconnaît dans la politique du maréchal Pétain et ne proteste pas contre la promulgation du statut des Juifs (3 octobre 1940). Mais à l'heure des déportations de masse de l'été 1942, plusieurs évêques prennent la parole. Le premier à le faire est l'archevêque de Toulouse, Mgr Jules Saliège. Le 23 août 1942, il ordonne la lecture dans toutes les paroisses de son diocèse d'une lettre pastorale qui fera date : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d'autres. Un chrétien ne peut l'oublier. » Cette lettre, lue également au micro de la BBC, aura un effet important dans l'opinion. Dans les jours suivants, c'est au tour de Mgr Pierre-Marie Théas (évêque de Montauban), puis du cardinal Pierre Gerlier (archevêque de Lyon), de Mgr Jean Delay (archevêque de Marseille) et de Mgr Jean-Joseph Moussaron (évêque d'Albi) de réagir.

Ils ne sont pas très nombreux...
On ne peut que le regretter. Mais le symbole est fort. Très passive depuis le début de l'Occupation, l'institution catholique demeurait silencieuse envers les persécutions antisémites. Ces prises de position publiques ouvrent une brèche. Vichy en a bien conscience. Le 2 août 1942, Laval déclare aux dirigeants nazis qu'il doit ralentir la « livraison» des Juifs, ayant des problèmes avec l'Église catholique. Or, c'est Saliège qui a brisé le silence. Son rôle historique est donc considérable au regard de l'histoire de la Shoah en France. À mon sens, il n'a pas la place qu'il mérite dans notre mémoire nationale.
Un an plus tôt, les jésuites Pierre Chaillet et Gaston Fessard avaient lancé le premier cahier clandestin de Témoignage chrétien. Le père Fessard est le premier intellectuel chrétien à avoir écrit un texte très argumenté dénonçant la collaboration de Vichy, l'ordre et l'idéologie nazis. Mais cette publication n'a pas connu le même retentissement que la lettre pastorale de l'archevêque de Toulouse, si ce n'est qu'elle a joué un rôle important dans l'évolution de l'esprit des fidèles.

Ce rôle joué par les catholiques, que vous décrivez dans votre livre, est tout de même peu connu. On retient surtout le soutien des évêques au régime de Vichy. Comment l'expliquez-vous ?
Sans doute parce qu'il existe aujourd'hui un fort sentiment de culpabilité chez les catholiques du fait de la collaboration de l'Église avec les autorités. Mais la déclaration de repentance des évêques en 1997 est allée trop loin, occultant l'influence de l'Église sur Vichy, l'incitant à être moins zélé dans sa collaboration aux déportations. Tout se passe comme si les évêques n'avaient pas lu le livre de Klarsfeld de 1983. De plus, ils minorent l'action des catholiques dans le sauvetage. Les protestants mettent souvent en avant la figure du pasteur Trocmé, au Chambon-sur-Lignon, dans les Cévennes. Mais, de leur côté, les catholiques pourraient citer des figures tout aussi remarquables. Pensons au père Jean Flory, reconnu premier Juste de France, au père Devaux (de la congrégation Notre-Dame de Sion), à Mgr Paul Rémond, à Nice... On pourrait encore parler de ces couvents et autres communautés religieuses où des Juifs ont trouvé refuge. Du village de Chavagnes-en-Paillers, dans la très catholique Vendée, de Dieulefit, dans la Drôme, de Saint-Christophe-des-Bois, en Ille-et-Vilaine, où les habitants ont contribué au sauvetage de nombreuses familles juives. Mais curieusement, les catholiques ne le font pas, car, bien souvent, ils ignorent ces exemples. C'est pour moi une source d'étonnement. L'histoire est toujours plus complexe que les souvenirs, parfois sommaires, que nous en gardons.

(Entretien paru dans La Vie, 28/03/2019)