À Paris, l’opinion, radicalisée par les rigueurs du siège, conteste le choix électoral du pays. On réclame une “commune” avec de larges pouvoirs. Le 31 octobre 1870, déjà, l’extrême gauche a tenté un soulèvement. En réaction au vote de l’Assemblée nationale, bientôt transférée de Bordeaux à Versailles, qui a décidé, le 13 mars, la fin du moratoire des dettes et des loyers ainsi que la suppression de la solde journalière de 30 sous versée à chaque garde, surgit la Garde nationale, milice de la capitale. Elle élit un “comité central”, en concurrence de l’Assemblée élue. La tentative, le 18 mars, de l’armée régulière de s’emparer de 230 canons de la Garde déclenche le soulèvement de l’Est parisien. Deux généraux, Lecomte et Clément-Thomas, sont lynchés par la foule. L’insurrection s’étend.
Le 22 mars, une manifestation des Amis de l’ordre, partisans du gouvernement légitime de Versailles, essuie les tirs de la Garde nationale, quartier de l’Opéra. Effrayée par “la terreur rouge”, la population des quartiers bourgeois de l’ouest fuit la capitale. Le Conseil de la Commune est élu le 28 mars par une ville à moitié déserte. Des “Communes” proclamées dans quelques villes de province, Lyon, Marseille, Narbonne, Le Creusot, ne durent qu’une poignée de jours. Au contraire, la Commune de Paris va tenir soixante-douze jours. Le 5 avril, elle prend le sinistre “décret des otages” : « Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d’accusation et incarcérée. » Toute exécution par le camp d’en face d’un « partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages »… Son application sera limitée, faute de prisonniers et sans doute aussi à cause de la désorganisation du pouvoir insurrectionnel.
Même si la Commune proclame, dans sa « déclaration au peuple français », « la liberté de conscience », les partisans et disciples du socialiste révolutionnaire Auguste Blanqui (fait prisonnier par le gouvernement Thiers) saccagent des églises et arrêtent des moines. À l’église Saint-Laurent, les plus enragés exhument des squelettes dans la crypte qu’ils exposent à la foule comme des victimes des curés. Les biens des congrégations religieuses sont saisis. Les communards en armes, honorés par la mythologie révolutionnaire, subissent un jugement plus sévère des témoins contemporains. Pour l’écrivain Maxime du Camp, « c’était une multitude indisciplinée, raisonneuse, que l’alcoolisme ravageait ». « La niaiserie semblait marcher de pair avec la violence », résume Edmond de Goncourt.
La gauche a imposé une amnésie sélective sur cet héritage. À côté des principes qui seront repris par les IIIe et IVe Républiques (la laïcité, l’éducation gratuite, la protection sociale en cas de maladie et de chômage, une journée de travail limitée à dix heures dans certains ateliers, un salaire minimal, l’égalité salariale entre les sexes… ), la parenthèse révolutionnaire a développé d’autres revendications contraires à nos traditions et même au patriotisme dont se revendique le mouvement : l’élection des fonctionnaires et magistrats, la suppression de l’armée permanente, la suppression de la préfecture de police de Paris, le mandat des élus impératif et révocable.
À l’intérieur, les radicaux l’emportent. Le 1er mai, à l’initiative d’un vieux militant jacobin, Jules Miot, un “comité de salut public” est instauré : 45 membres du Conseil ont voté en sa faveur contre 23 qui, un temps, vont cesser d’assister aux séances. De son côté, l’armée du gouvernement régulier s’est réorganisée : les prisonniers de guerre, libérés par les Allemands, ont rejoint ses rangs. Paris est encerclé. Le 21 mai, l’ouest de la capitale est reconquis. Commence la Semaine sanglante qui oppose les 130 000 hommes du général de Mac Mahon à plusieurs dizaines de milliers de communards. Au soir du 22 mai, la ligne de front va du quartier de Saint-Lazare à celui de Montparnasse.
Contraints de reculer vers l’est, les partisans de la “révolution sociale” se retirent dans un sillage de destruction. Un premier incendie est allumé à l’angle des rues Royale et Saint-Honoré. La colonne Vendôme a été abattue. Sur la rive gauche, la chancellerie de la Légion d’honneur, les hôtels particuliers (pillés) de la rue de Lille, le palais d’Orsay, siège de la Cour des comptes, la Caisse des dépôts sont minés et détruits. « La Commune a employé le feu strictement comme moyen de défense », écrira Karl Marx. « Du passé, faisons table rase… », le verset de l’Internationale, composée en juin par le communard Eugène Pottier, prend tout son sens.
À la question « Que fait-on du palais des Tuileries, l’antre du césarisme ? » le délégué civil à la guerre, Charles Delescluze, rétorque : « Le feu, le feu, le feu partout ! » François Jourde, responsable des finances, avait prévenu : « Si nous sommes vaincus, nous brûlerons Paris. » Le Palais-Royal est incendié comme le Palais de justice. Mais aussi la Bibliothèque impériale, l’Hôtel de Ville, le grenier à blé du bassin de l’Arsenal, la manufacture des Gobelins…
Au soir du 24 mai, Edmond de Goncourt voit dans Paris en flammes « une éruption du Vésuve sur une feuille de papier noir ». Pour Émile Zola, la Seine est une rue « brûlant aux deux bords d’une chaussée de lave » et la Cité « un soleil de sang sur une mer sans borne ». Le Louvre n’échappe à la destruction que grâce à l’énergie du conservateur Barbet de Jouy. Le 24 encore, des insurgés allument un bûcher au sein de Notre-Dame, sauvée par l’intervention des internes de l’Hôtel-Dieu.
Le 28 mai, la dernière barricade tombe. L’ordre est rétabli dans un Paris ravagé. L’ampleur de la répression (8 000 morts durant la Semaine sanglante selon l’historien britannique Robert Tombs, 4 467 condamnés à la prison, 8 000 déportés) est à la mesure de la peur qu’a inspirée l’insurrection.
Paradoxalement, c’est dans cet écrasement impitoyable que la Commune puisera son mythe le plus fort. Les vaincus ont imposé leur légende."
(extrait d'un article de Jean-Michel Demetz, in Valeurs Actuelles , 12/08/2021)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire