L’Europe latine a beau connaître un essor non négligeable à son niveau (favorisé par un réchauffement ou optimum climatique, de 950 à 1350), elle est surpassée par Byzance et le monde islamique, qui ont préservé de larges pans de la civilisation gréco-romaine. Les Arabes ont bénéficié en outre de l’héritage perse, puis de contacts avec l’Inde et la Chine, leur langue devenant le principal idiome de haute culture de l’époque.
C’est dans la sphère byzantine et islamique que l’on trouve, vers l’an 1100, de puissantes métropoles urbaines, de Cordoue à Bagdad, en passant par Palerme, Constantinople et Le Caire, alors que les plus grandes villes de l’Europe latine, de Rome à Paris, peuvent avoir dix fois moins d’habitants.
(…) les croisades n’ont pas été conçues ou vécues comme une “expansion” de l’Occident chrétien au détriment de “barbares”, mais plutôt comme des guerres d’autodéfense, face à un islam trop puissant.
Mais tout change avec l’irruption des Seldjoukides, une tribu turque venue d’Asie centrale qui rebâtit, à la fin du XIe siècle, un empire unifié de la Méditerranée à l’Asie centrale. Professant un islam intransigeant, elle persécute les chrétiens et multiplie les offensives contre les Arméniens et les Byzantins (…)
Les Byzantins font appel au pape latin, en dépit du schisme qui les sépare “définitivement” depuis 1054. Le pape Urbain II prêche à Clermont, en 1095, une guerre sainte pour « libérer Jérusalem ». Ce sera la première croisade, qui finit par contrôler le littoral levantin – ainsi que la Ville sainte en 1099.
Les croisés érigent un royaume de Jérusalem et une principauté d’Antioche, qu’ils tentent de gouverner à leur façon. Là encore, un rapprochement avec la colonisation moderne ne tient pas : ces États latins ne se rattachent à aucune “métropole” européenne et ne reçoivent guère de “colons”, à part des moines-soldats, Hospitaliers ou Templiers, qui n’implantent pas de familles.
Il est vrai que de nouvelles croisades seront organisées en leur faveur et que six d’entre elles seront menées par des empereurs, des rois ou de grands seigneurs (…) Mais aucun de ces princes ne songe à confisquer l’Outremer à son profit – alors qu’ils mènent, en Europe et notamment en France, des guerres de conquête. S’ils partent en croisade, c’est pour des raisons à la fois religieuses et politiques : ils consolident ainsi leur légitimité de roi chrétien.
Ils bâtissent les plus grandes forteresses de leur époque, comme le krak des Chevaliers, en Syrie.
Jérusalem est perdue dès 1187, et Saint-Jean-d’Acre, ultime forteresse hospitalière, tombe en 1291.
Le principal apport des croisades sera d’avoir accéléré une sorte de transfert d’Orient vers l’Occident (…) Retour d’Outremer, barons et chevaliers rapportent les épices, des fruits et des légumes (abricot, échalote, aubergine), le blason, l’arc dit gothique, le culte de la musique et de la poésie, l’algèbre et les chiffres dits arabes, y compris le mirifique zéro."
(extraits d'un article de Michel Gurfinkiel in Valeurs Actuelles, 8/07/2021)