Qu’est-ce que des mémoires aux XVIIe et XVIIIe siècles ? […] Se rejoue ici, dans l’imaginaire, la partie politique perdue dans la réalité passée ; dans le présent, l’activité d’écriture prend la place qu’aurait dû avoir une activité politique désormais interdite […] Absence donc de l’autobiographie […] de l’homme moyen – non historique, si l’on préfère.
Que le libertin soit une figure majeure pour la société du XVIIIe siècle […] ne fait aucun doute. L’aristocrate vaincu a déplacé sur le terrain de la vie privée son désir de vaincre. De plus en plus, pour lui, l’espoir d’enrichissement passe par la condition préalable de plaire […] la nécessité de plaire étant tenue pour féminine, le séducteur, qui retourne contre la femme son arme propre, est en même temps avec elle en relation de concurrence : il lui faut, par la cruauté, refuser une identification qui signerait la déchéance économique du pouvoir mâle.
Le scandale, chez Casanova, c’est qu’il y a télescopage entre profit, sentiment et sexualité, et que l’économie n’y est plus prise au tragique […] N’être pas bourgeois, c’est d’abord échapper à cette inflation sentimentale et morale, qui fait prendre au tragique la rencontre de l’économie et du plaisir…
Parmi les mémorialistes « vrais », Casanova est peut-être en effet le premier à ne pouvoir se réclamer d’un nom, d’une caste, d’une institution, de rien qui soit inscrit dans la structure sociale […] Casanova est qualifié par son appartenance à une institution imaginaire, où « les libertins », les « héros picaresques », etc. représentent des catégories nettement distinctes.
(…) la société d’Ancien Régime est une société qui, dans une certaine mesure, assure […] sa propre représentation, au moyen d’une série de rituels, habits, fêtes, dépenses, etc. A mesure que cette représentation perd son efficacité, (le noble porte l’épée, mais il n’a plus le pouvoir) on peut admettre que c’est la fiction romanesque qui fournit à l’individu les moyens de se situer et de se définir…
(René Démoris)