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dimanche 6 décembre 2020

Pierre Vermeren sur la République française

"(…) Il faut attendre 1875 et même 1879 pour que la République prenne le pas sur ses adversaires monarchistes. Mais la possibilité du retour de la monarchie ne peut encore être exclue. C'est pourquoi les républicains, qui tiennent l'appareil d'État, refusent soixante-dix ans durant le vote des femmes, jusqu'à de Gaulle : ils soupçonnent les Françaises, du fait de leur proximité avec les prêtres, de vouloir restaurer la monarchie (…)

Le rôle des historiens dans le personnel politique dirigeant de la IIIe République est à l'inverse de notre situation. Ils exacerbent le patriotisme local, la “petite patrie” normande ou auvergnate, pour préparer l'amour de la grande patrie (Ernest Renan). Fêtes, défilés, expositions, école, images d'Épinal, littérature, manuels scolaires, rien n'est oublié pour maintenir les citoyens dans l'exaltation patriotique et les faire adhérer au régime.

La IIIe République reprend l'héritage de 1789 contre tous ses ennemis. D'abord l'empire. Elle n'a pas beaucoup d'efforts à faire : la capture et la chute de Napoléon III permettent de tourner cette page sans combat. Puis elle s'abat sur l'extrême gauche lors de la répression sanglante de la Commune, pour montrer que République et terreur n'ont pas partie liée. Dès lors, l'adversaire devient la monarchie. Aux législatives de janvier 1871, les princes Bourbons et Bonaparte sont interdits de se présenter. Mais les deux tiers de la France qui vote (l'autre est occupé par les Allemands) font un triomphe aux monarchistes. Pendant cinq ans, légitimistes et orléanistes tiennent le destin du pays dans leurs mains : mais incapables de s'entendre, ils ont poussé le corps électoral vers les républicains, en 1876 puis 1877. Reste le président de la République, Mac-Mahon, monarchiste convaincu, finalement poussé à la démission. L'histoire ne repasse pas les plats.

Reste donc l'Église catholique (…) 95 % des Français sont baptisés ; libres-penseurs, socialistes (eux-mêmes tenus en marge), protestants et francs-maçons sont des minorités. (…) l'irréligion est forte à Paris. Mais l'Église n'a jamais été aussi puissante qu'en cette fin de XIXe siècle. Elle envoie des missionnaires dans le monde entier (les trois quarts des missionnaires catholiques sont français), son clergé est plus nombreux qu'au XVIIIe siècle, elle scolarise bientôt plus de la moitié des petits Français (…)

Pour la première fois depuis des siècles, dans la succession des générations qui ont fait la France, la génération née dans les années 1940 et 1950 (pour simplifier) a coupé les chaînes de la transmission. Le symbole, c'est mai 1968. Mais le processus va à son terme. Tout ce qui était transmis depuis des siècles, et valorisé comme tel, cesse de l'être : cela va du latin à la cuisine, du catéchisme à l'art de la guerre, des chansons populaires au roman national, de la géographie aux mœurs les mieux ancrées. Perdant leurs assises, toutes les institutions sont ébranlées : la République n'échappe pas à la règle."

(extraits d'un entretien de Pierre Vermeren, auteur d'On a cassé la République, avec Anne-Laure Debacker, in Valeurs Actuelles, 26/11/2020)

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