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samedi 29 mai 2021

Le vandalisme révolutionnaire

La notion de patrimoine se construit progressivement en Europe à partir de la Renaissance. Tout commence en 1471, lorsque le pape Sixte IV installe un certain nombre de sculptures antiques dans le Palais des Conservateurs, afin de les rendre accessibles au peuple de Rome.


A Florence, c’est la galerie des Offices.

La France est en retard. En 1644, le cardinal Mazarin ouvre la voie, en mettant sa bibliothèque à disposition des chercheurs et des curieux une fois par semaine. La bibliothèque royale ne commence de son côté à accueillir le public qu’à partir de 1720.


Chaque village de France porte les stigmates du vandalisme révolutionnaire.


1789


La France est le pays le plus peuplé d’Europe, avec environ 28 millions d’habitants.

Plus d’un tiers ont moins de 20 ans.


Le pays se trouve dans une situation financière extrêmement difficile. C’est d’ailleurs l’une des causes du mécontentement général.

Le roi cède sa vaisselle d’or et la reine sa vaisselle d’argent. La noblesse et la bourgeoisie sont obligées de suivre. 

Dès novembre, les biens du clergé tombent dans l’escarcelle de l’Etat pour combler le déficit budgétaire. Les ventes concernent environ 260 000 bâtiments et 4,7 millions d’hectares. Bourgeois et paysans profitent de jolies aubaines.


1790


Les députés réquisitionnent l’orfèvrerie des églises qui ne servent plus au culte. 

Deux ans plus tard, ils confisquent tous les vases sacrés.


Les actes de vandalisme (le mot est lancé) restent profondément liés à l’idéologie révolutionnaire qui refuse l’héritage de l’Ancien Régime, et se poursuivent tout au long de la Révolution.


Plus de 100 000 cloches sont fondues pour être transformées en monnaie ou en canon.

Mais on s’aperçoit vite que le métal des cloches, trop cassant, n’est pas approprié pour la monnaie.


1791


L’abbaye de Cluny, gigantesque et qui rayonnait dans toute la chrétienté, chef d’œuvre de l’art roman, est dépouillée de ses trésors les plus précieux. Les moines sont expulsés.


1792


Ultimatum à l’empereur François II sommé de renvoyer les émigrés français installés sur son territoire. Comme François II ne répond pas, l’Assemblée propose au roi de lui déclarer la guerre. Le roi accepte. La guerre va durer 23 ans, jusqu’à la chute de Napoléon en 1815 !


Louis XVI oppose son veto aux décrets sur la déportation des prêtres réfractaires et la formation d’un camp de fédérés à Paris.


Les sans-culottes des faubourgs envahissent les Tuileries. Ils veulent que le roi lève son veto.


Le 14 juillet, Louis XVI est sommé d’assister à l’embrasement d’un arbre recouvert des emblèmes de la féodalité sur le Champ-de-Mars.

Les destructions sont mises en scène dans les fêtes populaires.


En août, création de la Commune insurrectionnelle de Paris. Sans-culottes et fédérés marchent sur les Tuileries défendues par des Suisses et les gardes nationaux. Seuls les Suisses combattent. Ils sont massacrés après que le roi leur ordonne de déposer les armes.

L’Assemblée decrète la dissolution de la Commune de Paris, qui refuse de s’incliner. La rue tient le pouvoir.


En septembre, la rumeur que les Prussiens sont aux portes de la capitale déclenche des massacres.

La royauté est abolie. Un décret stipule que quiconque proposera de rétablir en France les rois ou la royauté sera puni de mort.

La République est proclamée. La Convention Girondine soutient « tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté ». Début de la guerre d’expansion révolutionnaire, qui devient une guerre d’expansion impérialiste en 1804.


Début d’une violente campagne, qui va durer deux ans, pour convaincre la Convention de détruire le palais des papes d’Avignon, qu’on appelle alors la « Bastille pontificale ».

On autorise chaque citoyen à emporter tout ce qu’il souhaite : matériau, boiserie, mobilier… « Ces désordres ne doivent pas être imputés à la fureur momentanée d’une population frénétique. C’est avec réflexion et de sang-froid qu’on a attaqué nos monuments d’architecture et de sculpture. Des maçons étaient payés à la journée pour anéantir les ouvrages de l’art » (Esprit Calvet, un contemporain).


1793


Louis XVI est guillotiné.


Levée de 300 000 hommes pour renforcer les armées.

Début de la guerre de Vendée.

Pour sauver la République, les Montagnards veulent terroriser les ennemis de la France. Le Comité de défense générale est transformé en Comité de salut public. C’est la Convention jacobine. 

Début du service militaire universel et obligatoire.


A Paris, sous la pression des sans-culottes, la terreur est mise à l’ordre du jour.

Procès et exécution de Marie-Antoinette.

Procès et exécution des Girondins.

Les dépouilles de 52 rois, 32 reines, 60 princes et princesses de sang et 10 grands personnages sont tirées de leur repos : les tombes de l’abbaye de Saint-Denis sont violées ; des ouvriers arrachent les cheveux de Marie de Médicis, un charretier perce le ventre de Louis XIV…


En octobre, le Conseil général de la Commune de Paris, « informé qu’au mépris de la loi, il existe encore dans plusieurs rues de Paris des monuments du fanatisme [la religion] et de la royauté, considérant que tout acte extérieur d’un culte quelconque est interdit par la loi, qu’il est de son devoir de faire disparaître tous les monuments qui alimenteraient les préjugés religieux et ceux qui rappellent la mémoire exécrable des rois, arrête que dans huit jours, les gothiques simulacres des rois de France qui sont placés au portail de l’église Notre-Dame seront renversés et détruits et que l’administration des travaux public est chargée, sous sa responsabilité, de l’exécution du présent arrêté. »

Les blocs de pierre restent sur le parvis où ils servent de latrines. Puis les pierres sont vendues au citoyen Bernard, entrepreneur*.

En s’attaquant aux statues de la galerie, les Montagnards cherchent à se débarrasser des prédécesseurs de Louis XVI ; ils s’acharnent en réalité sur les rois de Juda représentant la généalogie du Christ, un épisode biblique tiré du livre d’Isaïe.

En novembre, fête de la Raison célébrée à Notre-Dame de Paris, devenu « Temple de la Raison ».

A l’iconoclasme (destructions), le vandalisme révolutionnaire ajoute le sémioclasme : remploi et détournements d’objets pour en détourner le sens.

Pendant 42 jours, 8 hommes s’attaquent, à l’aide d’une machine à la masse colossale du second bourdon « Marie » de 1378, à terre.


Les sans-culottes profanent les sépultures de saints à l’abbaye de Cluny et brisent les vitraux. Des statues de bois, des manuscrits et des vêtements sacerdotaux sont brûlés.


1794


Le 10 mai débute la « Grande Terreur ». En juillet, fin de la Terreur, et chute de Robespierre.


L’abbé Grégoire présente quatre rapports à la Convention pour dénoncer le « vandalisme ». Pour lui, c’est la destruction d’un monument ou d’un objet digne d’intérêt pour la nation. Or la notion d’intérêt est variable d’une époque à une autre, et d’un groupe social à un autre.

Le terme de « vandalisme » se popularise et sert à dénoncer la barbarie des militants jacobins, poussés à tous les excès sous l’influence de dangereux démagogues. Le vandalisme devient une expression, parmi d‘autres, du « terrorisme », autre néologisme forgé à l’époque pour désigner les violences abusivement exercées contre les biens et les personnes au nom du salut public.


1795


Les destructions favorisent l’émergence d’une conscience patrimoniale nationale qui se déploiera au XIXè siècle. 

Alexandre Lenoir ouvre son musée des Monuments français.


Certains documents qui attestent de la « servitude » et du « fanatisme » sont purement et simplement supprimés dans les archives. Les destructions opérées dans les papiers des nobles émigrés et des condamnés de la justice révolutionnaire, ou dans les documents saisis avec les biens du clergé se trouvent ainsi légitimées.

Le bilan de ce « tribunal révolutionnaire » des parchemins, comme l’appelle Jules Michelet, est lourd : 440 dépôts d’archives de Paris et de province sont traités, représentant environ un milliard de documents, dont près de 2/3 sont éliminés.


1798


L’abbaye de Cluny est vendue à l’encan. Elle s’effondrera définitivement au XIXè siècle.


L’armée française entre à Rome et la République y est proclamée par les agents du Directoire. La Trinité-des-Monts est une cible idéale : sous protection du roi de France depuis sa fondation, en 1495 par Charles VIII, le prestigieux monastère domine Rome du faut de la colline du Pincio. Austères et savants, les religieux minimes, tous Français, ont une grande réputation : ils comptent parmi eux des érudits célèbres et même des scientifiques de premier niveau ; leur bibliothèque est l’une des plus riches de Rome. Tout est pillé en quelques semaines : les collections du musée, la bibliothèque, les meubles, l’argenterie, les portes, les fenêtres, les grilles du jardin…Les premiers pillards, incultes, ne s’intéressent qu’aux belles étagères, qu’ils emportent, laissant les livres et les archives en tas sur le sol.


*Les pierres se trouvent sur le chantier de Jean-Baptise Lacanal du Puget, avocat royaliste, frère du conventionnel Joseph qui se fait construire un hôtel particulier rue de la Chaussée-d’Antin. Jean-Baptiste ensevelit avec beaucoup de soin les têtes et les restes des statues. Ruiné, Lacanal est contraint de vendre son hôtel au général Moreau, sans jamais y avoir habité. Le 2 mai 1977, 364 pièces datant du XII et XIIè siècle sont apparues lors des travaux de rénovation réalisés dans la cour de l’Hôtel Moreau, un bâtiment parisien appartenant à la Banque française du Commerce extérieur, dans le IXè arrondissement. Toutes les pièces proviennent de Notre-Dame de Paris, Parmi elles, se distinguent surtout 20 têtes tranchées mesurant environ 65 cm de hauteur. Ce sont les têtes de certaines de 28 statues qui ornaient la galerie de rois sur la façade de Notre-Dame


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