"Malraux
disait que la photo symbolique de la première moitié du vingtième siècle serait
celle d’un camion chargé d’hommes hérissés de fusils, fonçant dans une rue
vide : Petrograd 1917, Berlin 1920, Shanghai 1927, Barcelone 1936, Paris
1944. Mais ses romans-reportages expliquaient pour qui roulaient ces hommes, et
vers quoi. L’image symbolique de la deuxième moitié du siècle devrait être
celle d’un garçon de 15 ans tirant à la Kalachnikov dans une rue déserte,
mimant les poses apprises au cinéma parce qu’il se sait enregistré pour l’œil
de la télévision, tandis qu’au cinquième étage de l’immeuble une bonne
grand-mère prend par inadvertance un obus dans la tête. Mais nous ne saurons
pas, faute de temps, pourquoi le gamin accepte de risquer sa vie, pourquoi la grand-mère
perd la sienne : trois séquences de trois minutes attendent leur tour pour
illustrer une autre guérilla, quelque attentat ou exécution capitale. Nous
n’aurons jamais vu tant d’hommes mourir sous nos yeux en en sachant si peu sur
leurs raisons de vivre."
(Gilles Perrault, extrait de la préface
de « Tête de Turc » de Günter Wallraff, 1985)
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