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lundi 6 janvier 2020

La guerre et ses clichés


"Malraux disait que la photo symbolique de la première moitié du vingtième siècle serait celle d’un camion chargé d’hommes hérissés de fusils, fonçant dans une rue vide : Petrograd 1917, Berlin 1920, Shanghai 1927, Barcelone 1936, Paris 1944. Mais ses romans-reportages expliquaient pour qui roulaient ces hommes, et vers quoi. L’image symbolique de la deuxième moitié du siècle devrait être celle d’un garçon de 15 ans tirant à la Kalachnikov dans une rue déserte, mimant les poses apprises au cinéma parce qu’il se sait enregistré pour l’œil de la télévision, tandis qu’au cinquième étage de l’immeuble une bonne grand-mère prend par inadvertance un obus dans la tête. Mais nous ne saurons pas, faute de temps, pourquoi le gamin accepte de risquer sa vie, pourquoi la grand-mère perd la sienne : trois séquences de trois minutes attendent leur tour pour illustrer une autre guérilla, quelque attentat ou exécution capitale. Nous n’aurons jamais vu tant d’hommes mourir sous nos yeux en en sachant si peu sur leurs raisons de vivre."

(Gilles Perrault, extrait de la préface de « Tête de Turc » de Günter Wallraff, 1985)

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