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lundi 23 décembre 2019

Georges Clemenceau

A la table de son père, Benjamin Clemenceau, le jeune Georges, deuxième de six enfants, apprend à détester la monarchie et à aimer Mirabeau, Danton, Robespierre, et la Révolution. En républicain athée, bien que marié, Benjamin inculque à ses enfants une méfiance atavique envers la religion.

Le jeune homme suit ses études à l'école de médecin de Nantes, puis à Paris, où il devient une figure de l'agitation républicaine du Quartier latin.

(…) il se lie à la référence absolue des révolutionnaires, Auguste Blanqui, dont il va rester l'ami et l'admirateur. Il obtient son doctorat en médecine le 13 mai 1865, avec une thèse hostile au catholique et bonapartiste Louis Pasteur.

Ayant participé à la journée révolutionnaire du 4 septembre 1870, au cours de laquelle est proclamée la République, il est nommé maire provisoire de Montmartre (…) A ce titre, il rencontre l'anarchiste Louise Michel, institutrice du quartier.

Fin octobre, il appuie la révolte des quartiers populaires contre l'annonce des premières négociations d'armistice entre le gouvernement provisoire et Bismarck.

(…) en tant que conseiller municipal de Paris, dont il devient président en 1875, et en tant que médecin du peuple, à la tête du dispensaire qu'il a installé à Montmartre.

Élu le 20 février 1876, comme député du XVIIIè arrondissement de Paris (…) il s'impose comme le chef incontesté des républicains radicaux et de l'opposition d'extrême gauche à ceux qu'il appelle les "opportunistes" (…)

C'est ainsi qu'il provoque à deux reprises la chute de sa bête noire Jules Ferry, en novembre 1881 à propos du protectorat tunisien et en mars 1885 à propos de l'expédition du Tonkin. S'il porte une part de responsabilité dans l'ascension politique de son ancien condisciple du lycée de Nantes, le général Boulanger, dont il obtient en janvier 1886 la nomination au ministère de la Guerre, il ne tarde pas à s'opposer à lui. Mis en cause dans le scandale de Panama…

Écœuré par les pratiques de la "meute" politique, Clemenceau se réfugie dans le journalisme. Devenu rédacteur en chef de La Justice (…) 

Le Grand Pan (1896), dans le quel il fait l'éloge du paganisme précédant le judéo-christianisme (…)

L'affaire Dreyfus lui offre l'occasion de donner toute la mesure de son talent de polémiste à partir d'octobre 1897, lorsqu'il entre comme rédacteur à L'Aurore (…) en 1898, il prend le risque de publier dans son journal le célèbre manifeste d'Emile Zola, "J'accuse…!", dont il a trouvé le titre. Il publie par ailleurs quantité d'articles pour obtenir la révision du procès Dreyfus, soit près de sept cents éditoriaux réunis en sept volumes, parus entre 1899 et 1903, et qui sont de vrais succès populaires.

(…) son anticléricalisme, son anticolonialisme, et son socialisme pragmatique (…) Il a pourtant refusé de rejoindre le nouveau Parti radical-socialiste, créé en 1901. De même il se montre très critique envers le président du Conseil radical Emile Combes, et contribue à la chute de son ministère en janvier 1905, lui reprochant  de ne pas avoir dénoncé le Concordat avec la papauté. Avec la même intransigeance, il critique Aristide Briand, qu'il traite de "socialiste papalin" à propos de son rapport jugé trop conciliant sur la loi de séparation des Églises et de l'État.

Pour la première fois, à l'âge de soixante-quatre ans, Clemenceau obtient un portefeuille ministériel, celui de l'intérieur. Confronté à une vague de grèves sans précédent, parfois quasi-insurrectionnelles sous l'impulsion de la CGT révolutionnaire, il n'hésite pas à se compter comme "le premier des flics", selon sa propre formule. Il envoie des soldats face aux mineurs du Nord, en grève à la suite de la catastrophe de Courrières, et lors de la "fête du TRavail" du 1er mai 1906 à Paris.

(…) présidence du Conseil en 1906…

Il suscite la création de la Police scientifique (…) et des brigades régionales mobiles, surnommées "Brigades du Tigre".

Il est poussé à la démission, le 20 juillet 1909, au terme de l'un des plus longs ministères de la IIIè République (…)

(…) patriote intransigeant (…) il ne cesse d'avertir la France du danger que constitue l'Allemagne et de défendre avec ardeur le projet de loi du gouvernement Barthou, qui vise à allonger la durée du service militaire de deux à trois ans. Ce faisant, il s'attire de nouveau les foudres des socialistes et d'une bone partie des députés radicaux.

(…) le président de la République se voit contraint d'appeler Clemenceau à la Présidence du Conseil le 16 novembre 1917.

Son programme de guerre à outrance (…) obtient un vote de confiance de tous, sauf des socialistes. Après avoir épuré l'administration, il vise à combattre toute tentative de révolte, de mutinerie ou de grève dans les usines, suivant les pacifistes, les défaitistes, et les "embusqués" afin de préserver le moral des troupes. Il consacre un tiers de son temps à la visite des tranchées, suscitant l'admiration des "poilus" pour son courage.

Fort de son prestige, il mène seul la délégation française lors de la conférence de la paix, organisée à Paris de janvier à juin 1919, au grand désarroi du président Poincaré. C'est même lui qui préside le Conseil des Quatre chargé de fixer les règles du jeu, avec l'Américain Wilson, le Britannique Lloyd George et l'Italien Orlando. Il y revendique : la ratification de la réintégration de l'Alsace-Lorraine, les réparations imposées à l'Allemagne et l'assurance de la sécurité de la frontière franco-allemande.

Ses adversaires prétendent que sa volonté s'est considérablement affaiblie après l'attentat dont il a été victime le 19 février 1919, l'anarchiste Emile Cottin lui ayant tiré dessus à trois reprises, mais sans le blesser grièvement.

Critiqué par l'extrême-droite, qui lui reproche d'avoir été trop soumis aux Anglo-Saxons, et par l'extrême-gauche, qui voit en lui un ennemi du monde ouvrier…

(…) écœuré par la médiocrité des politiques. Immergé dans le combat politique, il éprouve la tentation de s'en échapper pour satisfaire son hédonisme absolu, son amour des arts et des femmes, sa passion des civilisations anciennes ou de l'orientalisme.

(…) son meilleur ami Claude Monet à Giverny…

(extrait de "Clemenceau", de Jean Garrigues, Glénat/Fayard)

mardi 17 décembre 2019

Guerre commerciale sino-américaine

"(…) La Chine gagne chaque jour un peu plus d'un milliard de dollars dans son commerce avec les Etats-Unis (…)

Quand la Chine accède à l'OMC en 2001 (…) L'accession de la Chine à l'OMC lui a permis de devenir l'usine de la planète. L'une des conséquences les plus visibles de la perte d'emplois manufacturiers qui en a résulté aux Etats-Unis est l'énorme déséquilibre dans leurs échanges avec la Chine.

(…) les transferts de technologie forcés : pour avoir accès au marché chinois ou profiter des conditions de fabrication en Chine, les entreprises étrangères doivent créer une joint-venture avec un partenaire chinois ; ensuite, elles sont obligées de partager avec celui-ci leur propriété intellectuelle que ledit partenaire peut désormais exploiter pour son propre compte. Vient ensuite le vol de propriété intellectuelle par les contrefaçons, le cybercrime ou même l'espionnage industriel (…)

La Chine poursuit aussi une stratégie d'investissement direct agressive qui vise des secteurs à la pointe comme la Silicon Valley et permet ainsi un certain accès aux nouvelles technologies. Quant à la concurrence, les entreprises chinoises bénéficient de subventions publiques à peine déguisées, qui sont interdites aux entreprises américaines et européennes (…)

Ajoutons que, pour l'OMC, la Chine bénéficie toujours du statut de "pays en développement", ce qui semble totalement incongru aujourd'hui (…)

Aujourd'hui les Etats-Unis ont augmenté les taxes douanières sur 250 milliards de dollars d'importations, et a Chine sur 110 milliards. les discussions ont repris. Est-ce une guerre commerciale ? Selon l'entourage de Lighthizer, la guerre a été perdue il ya longtemps ; il s'agit d'une nouvelle bataille.

(…) exhortation aux partenaires européens de ne pas confier la construction de leur réseau 5G au géant chinois Huawei pour des raisons de sécurité. Résultat, l'UE commence enfin à comprendre le besoin de s'attaquer au problème chinois de concert avec ses alliés américains."

(extraits d'un article de Jeremy Stubbs, in Causeur, septembre 2019)

lundi 16 décembre 2019

L'islamisme : les impasses françaises

"(…) L'islamisme (…) est un phénomène international qui frappe des dizaines de pays depuis quarante ans. Mais nous n'arrivons pas à réaliser que c'est une traduction concrète de la mondialisation. L'islam a été complètement transformé et pris en main par les puissances du Golfe depuis les années 1970. Or nos dirigeants continuent à traiter l'islam comme on le faisait à l'époque de l'Algérie coloniale, avec les élites du Maghreb. On ne se rend pas compte qu'il y a un islam totalement nouveau, celui de salafistes et des Frères musulmans, totalement révolutionnaire et mondialisé (…)

D'une part l'incompréhension, la méconnaissance et le refoulement du fait religieux chez une partie des dirigeants français. Pour eux, Dieu est mort, d'où une ignorance crasse et méprisante du religieux, mais aussi l'incapacité à se mettre dans un raisonnement religieux. Les dijhadistes, alias terroristes, ne seraient pas rationnels, mais des fous à psychiatriser d'urgence. Mais ceux qui les pilotent sont très rationnels ! Certains considèrent l'islam comme une survivance archaïque négligeable, qu'ils acceptent avec un mélange de tolérance et de mépris. La folklorisation de l'islam est catastrophique : c'est en son nom qu'on accepte les petites filles voilées en France.
D'autre part, ceux qui acceptent le fait religieux regardent l'islam comme s'il s'agissait du catholicisme post-Vatican II. Or, toutes les religions ne se valent pas et elles sont très différentes les unes des autres : non seulement l'islam est à bien des égards l'inverse du christianisme, mais ils ont fortement divergé depuis les années 1960. Vatican II a sorti l'Eglise catholique des affaires du monde, tandis que la révolution salafiste des années 1980 pousse l'islam vers le politique.

(…) les principaux agents de diffusion que sont, entre autres, les monarchies du Golfe et la Turquie continuent d'opérer tranquillement en France."

(extraits d'un entretien avec Pierre Vermeren, in Valeurs actuelles, 28/11/2019)

vendredi 13 décembre 2019

"Franz Jägerstätter, objecteur de conscience magnifique"

"La "Vie cachée", du film de Terrence Malick, c'est lui. Retour sur l'histoire vraie d'un homme qui a refusé de sacrifier sa liberté intérieure face au nazisme.

« Un peu avant minuit, j'étais au lit sans dormir, même si je n'étais pas malade. Soudain, alors que j'étais dans un demi-sommeil, on me montra un beau train qui serpentait sur une montagne. En plus des adultes, il y avait beaucoup de jeunes gens qui accouraient de toutes parts pour grimper dans le train, on n'arrivait presque pas à les arrêter. Puis soudain, une voix me dit : "Ce train conduit en enfer." » Une nuit de janvier 1938, Franz Jägerstätter, un paysan autrichien, fait ce cauchemar étrange. S'il peine à en décrypter le sens sur le moment, la marche de l'Histoire lui en fournit bientôt la clé de lecture : ce train, c'est le national-socialisme, qui, dans les années 1930, répand ses métastases dans le corps social autrichien et précipite le pays dans les ténèbres.

À la veille de l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie en mars 1938, c'est un fermier venu d'un bourg perdu au milieu des forêts, Sankt-Radegund - à 30 km de Braunau-am-Inn, la ville natale de Hitler - qui a l'une des visions les plus claires de l'avenir de son pays. Ce rêve, évoqué par Terrence Malick dans Une vie cachée, Franz Jägerstätter ne le raconte que quelques années plus tard, dans ses carnets, au moment où il refuse de se battre dans l'armée du IIIe Reich. Ce choix de l'objection de conscience n'est pas banal à une époque où, terrorisés, les habitants de son village ont massivement voté pour l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne - le résultat des urnes donne le « oui » à 100% des voix, en dépit du « non » de Franz, comme le relève Cesare G. Zucconi, germaniste et secrétaire général de Sant'Egidio, dans son excellent ouvrage Christ ou Hitler ? Vie du bienheureux Franz Jägerstätter (DDB) - et où les évêques, non moins affolés, adoptent une position ambiguë.
En effet, si en 1933 l'épiscopat affirme qu'en Autriche le national-socialisme est « inconciliable avec la conscience catholique », le vent tourne après l'Anschluss. À la veille du dimanche des Rameaux, jour du référendum sur l'annexion, les évêques autrichiens, qui espèrent trouver un accord avec les nazis pour assurer la liberté de l'Église, déclarent que « grâce à l'action du national-socialisme, le danger du bolchevisme sans Dieu, qui détruit tout, a été conjuré ». Les évêques disent alors vouloir « accompagner cette œuvre avec les meilleures bénédictions pour l'avenir et exhortent les fidèles dans ce sens ».
Au Vatican, on est effaré par ces paroles. Les effets ne sont pas moins désastreux sur le peuple catholique local. Cesare G. Zucconi rapporte le témoignage du recteur du séminaire diocésain d'Innsbruck sur le mouvement de foule qui a suivi la lecture de cette déclaration en chaire : « Un nombre non négligeable de fidèles ont quitté l'église en signe de protestation. Certains, même des hommes, ont pleuré. Un simple homme du peuple m'a dit que des martyrs, parmi les évêques, il n'y en a pas, autrement ils n'auraient pas signé cette déclaration. » Franz Jägerstätter est dévasté par la tournure que prennent les événements. Pour lui, l'Église catholique s'est laissée « emprisonner », et tant qu'un « non » sonore ne viendra pas effacer ce « oui » de l'humiliation, « il n'y aura pas de samedi saint ». S'il comprend la peur du clergé et explique l'attitude des évêques par la volonté d'épargner des représailles aux fidèles, il est convaincu que c'est une erreur : « Je crois que, du point de vue de la véritable foi catholique, on ne se porterait pas plus mal dans notre pays si même il n'y avait plus une seule église ouverte et si des milliers de gens avaient offert leur sang et leur vie pour le Christ et pour la foi, plutôt que d'assister en silence à cette erreur qui se répand de plus en plus. »
Ce « non » qu'il a déjà posé au moment du référendum est le premier d'une longue série qui le mènera au martyre. Sa musculature spirituelle est particulièrement sollicitée pendant le service militaire, un temps de « croix », de privations et de souffrances psychologiques qu'il met à profit pour réfléchir à l'idéologie nationale-socialiste. Cesare G. Zucconi relate que, sa foi étant connue, Franz Jägerstätter est systématiquement mis à contribution à l'heure de la messe... Sa conviction que le nazisme est profondément antichrétien se renforce. Il médite beaucoup sur la peur, ce ressort si puissant aux mains des nazis, qui pousse les gens à étouffer les cris de leur propre conscience. « Si la peur n'existait pas, écrit Franz Jägerstätter, il y aurait tant de saints en ce monde. » Ou encore : « Suivre le Christ exige un esprit héroïque, des caractères faibles ou indécis ne sont pas aptes à le suivre. » Les chrétiens disposent à ses yeux d'un trésor inestimable où puiser la force de résister : l'assurance du Royaume, d'un au-delà qui donne le courage de se comporter comme un homme sur la terre. Et pour lui, la perspective d'une condamnation éternelle est sans commune mesure avec la pire des peines terrestres.
Dès lors, Franz Jägerstätter se nourrit de la Bible et des vies de saints. Les plus humbles lui plaisent particulièrement, Bernadette Soubirous, la bergère de Lourdes, Thérèse de Lisieux ou Bruder (« frère ») Conrad de Parzham, un capucin canonisé par Pie XI, simple gardien de monastère, à mille lieues du surhomme nazi. Il a assisté à sa canonisation en 1934, tout comme un enfant de 7 ans venu d'un village voisin avec son père... le petit Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI. Il aime aussi saint Thomas More, martyr condamné à mort par Henri VIII, expert du combat entre obéissance à l'autorité civile et primauté de Dieu. Il l'a découvert grâce à un camarade, Rudolf Mayer, qui lui a offert sa biographie à l'époque du service militaire, et qui éprouve comme lui une grande estime pour saint François d'Assise, au point d'intégrer avec lui le tiers-ordre franciscain... De retour du service militaire, il mûrit sa décision de devenir objecteur de conscience, tandis que sa vie se partage entre les tâches de la ferme, la correspondance avec l'ami Rudolf, envoyé sur le front russe, la messe quotidienne - il est devenu sacristain dans son église - et l'écriture d'un catéchisme pour ses trois filles, les nazis l'ayant interdit aux enfants de moins de 10 ans. 
Quand la convocation à se battre pour le IIIe Reich arrive un matin de février 1943, il est prêt. Prêt à dire « non », sachant que cela signe son arrêt de mort. Avec lucidité, il écrit : « De même que le Christ veut de nous une déclaration ouverte de notre foi, Adolf Hitler prétend cela de ses partisans. » « Le chrétien se trouve devant un choix radical : le Christ ou Satan ? Soldat du Christ ou soldat de Hitler ?, analyse Cesare G. Zucconi. Nous ne pouvons pas nourrir l'illusion de parvenir à suivre Hitler de loin, en restant exempts de son dessein de mort. » 
Voilà le point de bascule : la conscience profonde que chacun est responsable, à une époque où le nazisme prospère sur la déresponsabilisation des individus, petits maillons d'un système. Alors il persiste et signe dans sa décision, en dépit de l'incompréhension de sa famille - seule sa femme le soutient -, de son village, de ses amis prêtres, qui essayent de le convaincre de renoncer pour avoir la vie sauve. Il maintient son « non » jusqu'au bout, même quand les juges lui offrent la vie sauve en échange d'un reniement, au tribunal militaire de Berlin. In extremis, le chapelain de la prison réussit à le convaincre de se porter volontaire pour le service sanitaire, qui consiste à s'occuper des blessés et ne nécessite pas de prendre les armes, mais sa demande est refusée.
Sans le chercher, le martyre s'est donc imposé à lui comme la seule voie digne possible. En attendant son exécution, il prie dans sa cellule, qu'il a décorée avec une image de Marie entourée des petites violettes qu'une de ses filles a réussi à lui faire parvenir. Les poignets menottés, il écrit l'un de ses derniers textes : « Si l'on se consacrait avec la même sollicitude avec laquelle on a essayé de me sauver de la mort terrestre à mettre en garde chaque homme contre le péché mortel - et donc la mort éternelle - il y aurait le paradis sur terre. » Franz Jägerstätter est décapité le 9 août 1943 à la prison de Brandenbourg. Ce jour-là, rapporte Cesare G. Zucconi, il est le premier des 16 hommes exécutés, parmi lesquels se trouvent sept objecteurs de conscience, Franz et six témoins de Jéhovah. C'est cet objecteur de conscience magnifique, ce paysan aux mains calleuses et aux idées claires, qui parlait d'un « sacerdoce laïque » 20 ans avant Vatican II, que l'Église a béatifié le 26 octobre 2007. Cela s'est fait sur décret de Benoît XVI, à Linz, où Hitler était allé à l'école et où il projetait d'édifier un gigantesque musée nazi, le Fürhermuseum."
(Article de Marie-Lucile Kubacki paru dans La Vie, 5/12/2019)

jeudi 12 décembre 2019

L'UE, une administration, pas un organe politique

"Cette insistance démesurée pour le respect des règles tient largement à la nature de l'Union européenne. Cette dernière est une institution juridique fondée sur le droit et les règles. Ses dirigeants ne sont pas responsables politiques, mais des personnels administratifs. Ils n'incarnent pas un projet collectif débattu démocratiquement, mais une entité désincarnée qui poursuit un processus d'unification économique et réglementaire. Ainsi, telle qu'elle fonctionne, l'Union se donne pour tâche d'organiser la conformité de ses Etats membres aux principes généraux énoncés dans les traités. Or, faire de la politique ou de la  diplomatie, c'est trouver les moyens, non de se conformer à un processus défini à l'avance, mais de faire bouger des lignes pour agir consciemment sur le monde dans le sens de ses intérêts. Pour faire cela, il faut deux choses qui manquent cruellement à l'Union. D'une part, il faut un véritable projet politique qui ne se limite pas à organiser le marché unique et l'austérité budgétaire, et qui définisse précisément les interêts qu'on souhaite défendre ; d'autre part, il faut une autorité qui dispose d'une légitimité démocratique reconnue et qui incarne ce projet.
Ce que nous enseigne le Brexit, c'est que la rigidité européenne n'est pas conjoncturelle mais structurelle. L'Union n'est pas armée pour s'imposer diplomatiquement dans les affaires du monde ou pour défendre ses intérêts, fussent-ils économiques."

(Extrait d'un article de David Cayla dans "Valeurs actuelles", 5/12/2019)

lundi 9 décembre 2019

Les "baptêmes républicains" de Nantes

En 1789, Nantes accueille avec enthousiasme les débuts de la Révolution. Abolition des privilèges, réforme de l'État et rationalisation de la fiscalité : cela semble aller de soi pour l'une des villes les plus riches du royaume, où la grande bourgeoisie - quelque 400 “négociants”, une dizaine de “millionnaires” - a déjà supplanté la noblesse. De 40 000 habitants en 1720, la cité ligérienne est passée à 80 000 à la fin du siècle ; elle a abattu ses murailles, comblé une partie de l'estuaire de la Loire, bâti de splendides quartiers néoclassiques…
Nantes doit, certes, sa prospérité à la traite négrière, dont elle est le principal centre français (un mémorial rappelle aujourd'hui, avec une émotion légitime, ces circonstances). Mais les autres formes de commerce ne sont pas en reste, ni les chantiers navals, civils et militaires, ni l'industrie textile. En 1792, la municipalité se rallie sans réserve à la République, sous la direction de l'avocat René-Gaston Baco de La Chapelle, un ancien député de la Constituante. Et en 1793, face à l'insurrection royaliste de Bretagne, de Vendée et d'Anjou, Nantes se transforme en camp retranché révolutionnaire, où se réfugient par milliers les paysans ou vignerons “bleus” des environs. Le 29 juin, se décide la première guerre de Vendée, quand les 12 000 soldats républicains du général Jean-Baptiste Canclaux repoussent les 40 000 hommes de l'“armée catholique et royale”, commandée par Jacques Cathelineau, tué pendant les combats, et François de Charette, qui doit ordonner le repli.
Voilà qui devrait mériter à Nantes la reconnaissance de la République. Mais c'est le contraire qui va se passer.
Afin de consolider le front de l'Ouest, Paris décide, le 29 septembre 1793, d'expédier à Nantes un représentant en mission, Jean-Baptiste Carrier, ancien procureur à Aurillac et député du Cantal à la Convention, un hébertiste. Il doit adresser des comptes rendus hebdomadaires et obtenir quitus du Comité de salut public dont il n'est qu'une courroie de transmission. En fait, il va se comporter en despote sanguinaire pendant un règne de cinq mois, jusqu'en février 1794, avec l'appui d'une partie des révolutionnaires locaux.
Jean Marguerite Bachelier, le président du comité révolutionnaire de surveillance de Nantes, résume ainsi la logique terroriste du régime : « Quand on agit pour le peuple, rien ne peut être mal, erreur ou crime. » C'est ce qu'exige, à Paris, le Comité de salut public : « La lenteur des jugements équivaut à l'impunité, l'incertitude de la peine encourage tous les coupables », a déclaré Robespierre. « Punir les oppresseurs de l'humanité, c'est clémence ; leur pardonner, c'est barbarie. » Dans son ordre de mission, Marie-Jean Hérault de Séchelles enjoint à Carrier de « purger cette ville ».
Autant de blancs-seings pour les pires exactions, dirigées sur les contre-révolutionnaires, mais aussi les révolutionnaires soupçonnés de tiédeur - ou dont la richesse suscite la jalousie du député en question et de ses affidés. Pour le seconder et accomplir ses basses œuvres, Carrier promeut deux adjudants généraux : le carrossier Guillaume Lamberty et un certain Fouquet, tonnelier. Il recrute ensuite, au sein du comité révolutionnaire et de la compagnie Marat, une police politique d'une cinquantaine de marginaux. Il pourra enfin s'appuyer sur les membres du club de sans-culottes Vincent-la Montagne.
Le 14 novembre 1793 - 24 brumaire an II -, Carrier organise une rafle au sein de la bourgeoisie républicaine nantaise, sous prétexte d'un complot. Cent trente-deux notables suspects, rejoints par Baco de La Chapelle, sont convoyés à pied vers la capitale, enchaînés comme des bagnards. Ayant maté toute opposition, le “proconsul” établit sa dictature. Deux jours plus tard, il fait entasser une centaine de religieux sur un gabarot, qui est envoyé par le fond.
Ainsi commence le cycle des noyades de Nantes. Dans son rapport, Carrier adopte un ton goguenard : « Un événement d'un genre nouveau semble avoir voulu diminuer le nombre des prêtres. Quatre-vingt-dix de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires étaient renfermés dans un bateau sur la Loire. J'apprends […] qu'ils ont tous péri dans la rivière. Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! » La Convention applaudit et lui accorde une mention honorable.
Le 5 décembre, 58 captifs royalistes arrivent d'Angers. Carrier va-t-il s'en encombrer ? « Pas tant de mystère, il faut foutre tous ces bougres à l'eau ! » Dans la soirée du 14 décembre, on rassemble d'autres proscrits incarcérés à la prison du Bouffay. Il y a là des hommes et des femmes de toutes conditions, et quelques nobles. Eux aussi vont plonger dans la « baignoire nationale » pour y recevoir le « baptême patriotique » . Afin d'endormir leur méfiance, on prétend les transférer à Belle-Île-en-Mer ! Carrier a donné aux exécuteurs un blanc-seing qui « défend à qui que ce soit de porter la moindre entrave aux opérations que pourront nécessiter leurs expéditions ».
La cargaison humaine, liée deux à deux et lestée de pierres, est ensuite massée sur une sapine, que l'on saborde au-delà de Trentemoult, en amont de l'île Cheviré. Les bourreaux, ivres, chantent pour couvrir les cris de détresse de leurs victimes. Sur 130 suppliciés, il n'y aura qu'un seul rescapé… La défaite de l'“armée catholique et royale” sera consommée à la bataille de Savenay, le 23 décembre. Trois jours auparavant, Carrier informe la Convention : « La défaite des brigands est si complète que nos postes les tuent, prennent et amènent à Nantes par centaines. La guillotine ne peut suffire, j'ai pris le parti de les faire fusiller. […] C'est par principe d'humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres. »
Environ 2 000 captifs seront ainsi passés par les armes, sans procès, principalement dans les carrières de Gigant et de Miséry. Pour “désengorger” l'ex-entrepôt des Cafés, où l'on a empilé près de 13 000 personnes, Carrier songe à les gazer au moyen de vapeurs de soufre. Certains seront empoisonnés à l'acide sulfurique. Le 22 décembre, le Comité de salut public se réjouit du « miracle qui vient encore d'engloutir 360 contre-révolutionnaires à Nantes ». Le lendemain, deux autres bateaux sombrent du côté de Chantenay avec, à leur bord, beaucoup d'enfants et de femmes dévêtus, attachés avec des hommes, nus eux aussi. Dans leur jargon, les soldats auraient parlé de « mariages républicains ». Un témoin, le canonnier Wailly, se souviendra de ce « carnage le plus horrible que l'on puisse voir : plus de 800 individus furent inhumainement noyés et coupés en morceaux ».
Le 26 décembre, dans une lettre aux administrateurs du Maine-et-Loire, le commissaire civil Benaben se félicite de ce procédé : « Ici on met tous ces coquins-là dans des bateaux qu'on fait couler ensuite à fond. On appelle cela “envoyer au château d'eau”. En vérité, si les brigands se sont plaints quelquefois de mourir de faim, ils ne pourront pas se plaindre au moins qu'on les fasse mourir de soif. On en a fait boire aujourd'hui environ 1 200. »
Dans sa livraison du 13 nivôse an II - 2 janvier 1794 -, le Moniteur publie cette correspondance de Nantes : « Le nombre des brigands qu'on a amenés ici depuis dix jours est incalculable. […] La guillotine étant trop lente, et attendu qu'on dépense de la poudre et des balles en les fusillant, on a pris le parti d'en mettre un certain nombre dans de grands bateaux, de les conduire au milieu de la rivière, et là on coule le bateau à fond. »
L'ultime noyade diligentée par Carrier semble avoir été perpétrée dans la nuit du 29 au 30 janvier 1794, et concernait 400 infortunés. Enfin, le 27 février, l'adjudant général Lefebvre ordonne le dernier massacre dans la baie de Bourgneuf, entraînant la mort de 41 personnes, dont 5 nourrissons…
Les historiens s'accordent à chiffrer à près de 5 000 le nombre des victimes des noyades de Nantes, volet tragique de la politique d'extermination menée par la Convention. Quant à Carrier, il regagne Paris le 21 février 1794, avec le sentiment du devoir accompli. Il sera même élu secrétaire de la Convention. « Carrier est un patriote , déclare Robespierre. Il fallait cela dans Nantes. »
C'est après Thermidor que l'ancien proconsul sera jugé en raison de ses « actes arbitraires et attentatoires à la liberté des citoyens ». Le 16 décembre 1794, le « démon exterminateur » montait à son tour sur l'échafaud. Les 132 « bagnards républicains » seront au contraire acquittés par le Tribunal révolutionnaire. Et contrairement à ce qui se passera dans d'autres villes françaises, il n'y aura plus de nouvel épisode de terreur à Nantes, ni “bleue”, ni “blanche”.
(Article de Philippe Delorme, in Valeurs Actuelles, 28/11/19)



samedi 7 décembre 2019

"La solitude, c'est la lèpre de l'Occident" (Mère Teresa)

Une enquête de l'institut CSA réalisée en 2017 pour les Petits Frères des pauvres révèle que 300 000 personnes de plus de 60 ans ne rencontrent jamais, ou que très rarement, d'autres personnes. "Elles peuvent être considérées comme en situation de mort sociale" analyse Michel Billé, sociologue spécialiste du grand âge.

(…) l'impact de la solitude subie sur notre système immunitaire. Chez les personnes socialement isolées, les gènes qui aident l'organisme à se défendre contre les invasions virales ont une moindre activité.

Plus d'un Français sur cinq souffrirait d'un sentiment de solitude, selon le baromètre des solitudes établi par la Fondation de France en 2013.

Un Français sur sept vit seul chez lui aujourd'hui. En 50 ans, ce pourcentage est passé de 6% à 14%.

Des chercheurs de l'université Rice, à Houston (Texas) : "Nous savons que les personnes qui ont perdu un être aimé ont un niveau d'inflammation dans l'organisme beaucoup plus élevé", écrit l'auteur principal de l'étude, le Dr Chris Fagundes. "Or l'inflammation a partie liée avec presque toutes les maladies. La dépression elle-même est liée à un état d'inflammation plus fort, et ceux qui ont perdu un conjoint ont un risque considérablement plus élevé de dépression majeure, d'attaque cardiaque, d'AVC et de mort prématurée." Le risque de mourir dans les six mois après la perte d'un conjoint augmenterait ainsi de… 41% !

Les hommes semblent plus dépendants que les femmes de la personne avec laquelle ils vivent.

Conduite en 2015, une étude des chercheurs de l'université Brigham Young (dans l'Utah), dépendant des Mormons, concluait ni plus ni moins que la solitude est aussi dangereuse pour la santé que l'obésité, le tabagisme et l'inactivité physique.

Au Royaume-Uni, 200 000 personnes âgées affirment n'avoir parlé à aucun ami ou proche dans le mois précédant l'enquête.

(extrait d'un article de Jean-Claude Noyé paru dans La Vie du 28/11/19)

mardi 26 novembre 2019

Sur la Russie de Poutine


Né en 1952 à Leningrad dans une famille ouvrière, il a connu une vie ordinaire. Comme des millions de Soviétiques, il a grandi dans un appartement communautaire, partageant une chambre de 20 mètres carrés avec ses parents jusqu’à l’âge adulte.

(…) son père a perdu ses cinq frères dans le conflit. Pendant le terrible siège de Léningrad (…) Son frère de 3 ans n’y a pas survécu, après un autre, mort avant même le déclenchement des hostilités.

Ses années de formation, après des études de droit, l’ont conduit, à partir de 1975, au KGB (…) Le KGP du temps de Poutine n’a rien à voir avec les purges staliniennes et il n’est sans doute as vu en Russie avec l’effroi qu’il peut susciter en Occident. Comme le dit Alexandre Soljenitsyne lui-même, dont on connaît l’engagement pour la liberté d’expression : « Vladimir Poutine état certes officier des services de renseignements, mais il n’était ni magistrat instructeur du KGB ni gardien de goulag. Dans aucun pays les services de renseignements extérieurs ne sont critiqués ; ils sont au contraire loués. On n’a jamais reproché à George Bush père son passé à a tête de la CIA. » Agent ordinaire sous le nom de Platov, son passage au KGB lui a surtout permis de ses faire une idée de l’Europe à partir d’un formidable poste d’observation avant d’embrasser la carrière que l’on sait. Les cinq dernières années passées en RDA, entre 1985 et 1990, ont été une expérience très formatrice pour lui, à laquelle il se réfère souvent dans ses déclarations aujourd’hui encore.

Le patriotisme est certainement le fil directeur de son action depuis qu’il est au pouvoir et ce par quoi il a redonné aux Russes la fierté d’être eux-mêmes, après une période extrêmement difficile (…) L’économie va mal, l’inflation est à trois ou quatre chiffres, l’espérance de vie des hommes tombe en 1994, à 58 ans.

« Poutine a reçu en héritage un pays dévasté et à genoux, avec une majorité de la population démoralisée et tombée dans la misère. Il a fait tout son possible pour le remettre debout petit à petit, lentement. Ses efforts n’ont pas été tout de suite remarqués ni reconnus. » Soljenitsyne écrivait ces lignes en 2007.

La démographie est l’objet du premier des décrets présidentiels de mai 2018 pour son nouveau mandat, la première des priorités. Mais le moment où sa popularité a été la plus forte, c’est en mars 2014, avec le rattachement ou l’annexion – à chacun de choisir - de la Crimée : elle est passée en quelques jours de 60 à 80%.

(Héléna Perroud)


Poutine insista très tôt sur le besoin pour la Russie d’exploiter au maximum un avantage compétitif non négligeable : ses ressources.

Pour commence, le nouveau président exhorta le gouvernement à accélérer le remboursement de la dette. La dépendance envers les créanciers avait augmenté sous Gorbatchev et Eltsine, limitant ainsi la politique étrangère russe. En 2003, le pays avait pratiquement remboursé la totalité de sa dette (…)

(…) renforcer la souveraineté de la Russie était la priorité absolue.

L’Occident a l’habitude d’attribuer à Poutine quelque talent de stratège avisé, mais sa principale qualité est tout autre. Il ne croit tout simplement pas à la planification à long terme et va même jusqu’à trouver cette approche dénuée de sens dans un contexte de transition générale et de rapides mutations. Il est bien plus important de développer sa capacité à réagir instantanément aux changements et à détecter de nouvelles opportunités ainsi qu’un talent pour identifier les erreurs commises par les autres et les exploiter.

Cinquièmement, conviction que la puissance militaire restera l’instrument principal (…) Les capacités militaires de la Russie ont énormément augmenté entre 2008, date d’entrée en vigueur de la réforme militaire, et 2015, au lancement des opérations militaires russes en Syrie.
Sixièmement, politique étrangère libre de toute idéologie figée, souplesse diplomatique et rejet des alliances au profit d’associations ad hoc. Sous Poutine, la politique russe a jusqu’à présent été libre de toute forme d’idéologie (…) A cet égard, la Russie post-soviétique est en opposition frappante avec les États-Unis et l’Union européenne, qui ont adopté une politique idéologique axée sur certaines valeurs après la guerre froide (…) Cette absence d’idéologie a permis de former très librement différents types de partenariats considérés de plus en plus souvent comme des groupes d’affinité créés pour résoudre des problèmes concrets (…) Mais la flexibilité est limitée par une réserve importante aux yeux de Poutine : un partenaire de longue date ne peut être lâché, peu importe sa réputation ou le nombre de problèmes que l’on s’impose en lui assurant un soutien.

(Fiodor Lioukanov)


Plus de 500 sociétés françaises sont présentes sur le marché russe. Leur chiffre d’affaires global atteint 27 milliards d’euros. La France est le premier employeur étranger en Russie avec 160 000 emplois créés, essentiellement dans le secteur de la grande distribution par Auchan, pour qui son réseau en Russie (plus de 100 hypermarchés à travers tout le pays) constitue le plus grand au monde après la France (…) La présence économique russe en France est beaucoup plus modeste. Une trentaine de sociétés russes ont investi en France 3 milliards de dollars et créé 3500 emplois.

(…) les banques françaises sont pratiquement tétanisées à l’idée de faire affaire avec les Russes. Deuxième grand obstacle : les sanctions individuelles qui frappent certains capitaines de l’industrie russe. Ces sanctions adoptées au sein de l’Union européenne d’une façon arbitraire sont complètement irrationnelles et nuisent terriblement à l’image de l’Europe en général et de la France en particulier au sein des milieux d’affaires russes.
Enfin, la campagne permanente dans les médias français contre la Russie ne donne aucune envie aux investisseurs potentiels russes de venir en France.

(Alexandre Orlov)


La Russie reste, à l’évidence, un pays où les inégalités de revenus sont élevées. Mais elle n’est plus un pays où ces dernières sont extrêmes. Les niveaux, qu’il s’agisse du coefficient de Gini ou de l’écart interdécile, sont de l’ordre de ce que l’on connaît au Portugal et en Italie. La Russie est donc loin de l’image qu’en donne une certaine presse, un pays dominé par les oligarques et la mafia.

(Jacques Sapir)


Dans une lettre du 19 mars 1922 aux membres du Politburo, Lénine écrit : « La confiscation des objets précieux, surtout dans les laures [monastères prestigieux], les monastères et les églises les plus riches, doit être opérée sans pitié, avec une fermeté sans faille et intraitable, et dans un délai le plus court possible. Plus nous pourrons exécuter de représentants de la bourgeoisie réactionnaire et de prêtres réactionnaires à cette occasion, mieux ce sera ». Ses ordres furent impitoyablement exécutés ! (…) Le bilan humain est affreusement lourd : des centaines d’évêques, des dizaines de milliers de prêtres, tout comme des dizaines de moines et de moniales, ainsi que des centaines de milliers de fidèles ont été assassinés dans l’univers concentrationnaire ou en dehors, avec un pic de 80 000 fusillés en 1937 ! Concernant les églises principalement orthodoxes, sur les quelques 55 000 que comptaient la Russie en 1914, seulement une centaine proposaient encore des offices religieux en 1939 ! De nombreux édifices avaient été détruits, d’autres étaient utilisés comme entrepôts. Quant aux monastères, dont le nombre s’élevait à 1024 avant la révolution bolchevique, ils étaient tous fermés à la veille de la Seconde Guerre mondiale, certains étaient devenus des camps du Goulag, comme aux îles Solovki (…) Durant ces soixante-dix années de terreur communiste, selon l’Institut Saint-Tikhon à Moscou, entre 500 000 et 1 million d’orthodoxes, religieux et laïcs, ont été tués pour leur foi !

Peu avant l’effondrement de l’URSS (…) la principale figure orthodoxe de cette époque, charismatique et très écoutée, est le père Alexandre Men (1935-1990). A partir de 1988, il donne des conférences publiques, est invité à la radio et à la télévision, mais il est assassiné sauvagement, pour des raisons toujours inconnues, le 9 septembre 1990.

En 1987, on compte moins de 700 églises et 22 monastères ouverts.

Dynamitée en 1931 sur ordre de Staline qui ne supportait plus de la voir de ses fenêtres, la cathédrale du Christ-Sauveur a été reconstruite à l’identique à partir de 1995 et consacrée le 19 août 2000.

Ce sont en moyenne 1000 nouvelles églises qui sont ouvertes chaque année depuis 1988 ! On s'approche aujourd'hui des 40 000. Précisons que cela concerne presque tout le territoire de l'ex-URSS : en effet, près de la moitié des églises se trouvent en dehors de la Russie, comme en Ukraine qui regroupe un petit tiers des paroisses. En outre, un millier de paroisses sont situées à l'étranger, c'est-à-dire hors du territoire canonique de l'Eglise orthodoxe russe (…) le nombre de monastères, environ 800, et des lieux d'enseignements (…) ont aussi considérablement augmenté.

Selon différentes études, de 79 à 80% des personnes interrogées se réclament de l'orthodoxie. Mais il s'agit essentiellement pour beaucoup d'une référence historique et culturelle attachée au pays. En effet les chiffres sont bien plus faibles quant à la pratique religieuse régulière, 3%, parfois un peu plus.

Rassemblant un peu plus de la moitié des croyants orthodoxes de la planète, l'Eglise russe s'est également redéployée à l'étranger, notamment en construisant des églises, souvent avec un centre culturel, comme à Paris, quai Branly…

(Christophe Levalois)


"La Russie n'a que deux alliés : son armée et sa flotte", disait l'empereur Alexandre III à la fin du XIXè siècle. Cet aphorisme connu de tous les Russes, est gravé sur le socle du monument à la mémoire de ce tsar que le président Vladimir Poutine a inauguré, le 18 novembre 2017, dans les jardins du palais de Livadia, à Yalta en Crimée.
Ainsi, pour le centenaire de la révolution bolchevique de 1917, c'était un monarque symbolique de l'ancien régime, bâtisseur de l'armée russe moderne, que Poutine avait choisi d'honorer.

L'équilibre stratégique, que l'on appelait "équilibre de la terreur" pendant la guerre froide, avait garanti l'absence de tout conflit majeur entre les Etats-Unis et l'URSS en dépit des nombreuses crises sur des théâtres d'opérations périphériques qui avaient marqué l'époque. Son postulat de base était la doctrine de la "destruction mutuelle assurée" dont l'acronyme anglais MAD ("fou") révélait la logique : il fallait avoir perdu la raison pour lancer une attaque nucléaire qui provoquerait des représailles massives.

Lorsque Vladimir Poutine accéda au pouvoir, en 1999, d'abord comme Premier ministre puis comme président, l'année suivante, il ne voyait, de son propre aveu, aucune objection à ce que, à terme, la Russie entrât dans l'Otan. Pour lui, la création du Conseil conjoint Otan-Russie, inauguré en grande pompe à Rome, le 28 mai 2002, représenta l'aboutissement de ses efforts : désormais, son pays siégeait sur un pied d'égalité avec chacun des 19 membres de l'Alliance, avec les mêmes droits et prérogatives que les autres.
Il se rendit vite compte que ce n'était qu'une victoire à la Pyrrhus. Ce Conseil n'était qu'une structure en trompe-l'œil, sans pouvoir réel, destiné à faire admettre à la Russie l'abandon par les Etats-Unis du traité ABM.

(…) l'abandon du traité devint effectif deux semaines après la rencontre de Rome. Moscou se persuada rapidement que, avec le retrait de l'ABM, Washington poursuivait un plan pour sortir aussi du MAD : les progrès technologiques permettaient la création d'un bouclier anti-missile perfectionné qui pouvait donner aux Etats-Unis un avantage stratégique déterminant en contrant la capacité nucléaire russe. Deux éléments plaidaient en ce sens : l'élargissement continuel de l'Alliance vers l'est avec l'adhésion de pays qui faisaient jadis partie du bloc soviétique (l'Otan compte 29 membres depuis 2017) et l'installation dans certains de ces pays d'éléments du bouclier antimissile, notamment en Pologne et en République tchèque, mais aussi en Roumanie et en Bulgarie, sans parler, à l'autre extrémité du territoire russe, du Japon et de la Corée du Sud.

D'abord, le nouveau missile hypersonique Kinjal ("dague") capable d'atteindre une vitesse de mach 10 en changeant de trajectoire et délivrant des ogives nucléaires ou conventionnelles à plus de 2000 kilomètres de son point de lancement. Il est entré en dotation cette année dans les forces aériennes russes.

Et enfin, (…) le nouveau missile intercontinental lourd Sarmat, de plus de 200 tonnes, sans restriction de portée et équipé, selon la défense russe, d'un large éventail d'ogives nucléaires, notamment hypersoniques.

(Pierre Lorrain)

(extraits d'un dossier "Le retour de l'Aigle russe" paru dans Valeurs actuelles, 14-20 novembre 2019)