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mardi 26 novembre 2019

Sur la Russie de Poutine


Né en 1952 à Leningrad dans une famille ouvrière, il a connu une vie ordinaire. Comme des millions de Soviétiques, il a grandi dans un appartement communautaire, partageant une chambre de 20 mètres carrés avec ses parents jusqu’à l’âge adulte.

(…) son père a perdu ses cinq frères dans le conflit. Pendant le terrible siège de Léningrad (…) Son frère de 3 ans n’y a pas survécu, après un autre, mort avant même le déclenchement des hostilités.

Ses années de formation, après des études de droit, l’ont conduit, à partir de 1975, au KGB (…) Le KGP du temps de Poutine n’a rien à voir avec les purges staliniennes et il n’est sans doute as vu en Russie avec l’effroi qu’il peut susciter en Occident. Comme le dit Alexandre Soljenitsyne lui-même, dont on connaît l’engagement pour la liberté d’expression : « Vladimir Poutine état certes officier des services de renseignements, mais il n’était ni magistrat instructeur du KGB ni gardien de goulag. Dans aucun pays les services de renseignements extérieurs ne sont critiqués ; ils sont au contraire loués. On n’a jamais reproché à George Bush père son passé à a tête de la CIA. » Agent ordinaire sous le nom de Platov, son passage au KGB lui a surtout permis de ses faire une idée de l’Europe à partir d’un formidable poste d’observation avant d’embrasser la carrière que l’on sait. Les cinq dernières années passées en RDA, entre 1985 et 1990, ont été une expérience très formatrice pour lui, à laquelle il se réfère souvent dans ses déclarations aujourd’hui encore.

Le patriotisme est certainement le fil directeur de son action depuis qu’il est au pouvoir et ce par quoi il a redonné aux Russes la fierté d’être eux-mêmes, après une période extrêmement difficile (…) L’économie va mal, l’inflation est à trois ou quatre chiffres, l’espérance de vie des hommes tombe en 1994, à 58 ans.

« Poutine a reçu en héritage un pays dévasté et à genoux, avec une majorité de la population démoralisée et tombée dans la misère. Il a fait tout son possible pour le remettre debout petit à petit, lentement. Ses efforts n’ont pas été tout de suite remarqués ni reconnus. » Soljenitsyne écrivait ces lignes en 2007.

La démographie est l’objet du premier des décrets présidentiels de mai 2018 pour son nouveau mandat, la première des priorités. Mais le moment où sa popularité a été la plus forte, c’est en mars 2014, avec le rattachement ou l’annexion – à chacun de choisir - de la Crimée : elle est passée en quelques jours de 60 à 80%.

(Héléna Perroud)


Poutine insista très tôt sur le besoin pour la Russie d’exploiter au maximum un avantage compétitif non négligeable : ses ressources.

Pour commence, le nouveau président exhorta le gouvernement à accélérer le remboursement de la dette. La dépendance envers les créanciers avait augmenté sous Gorbatchev et Eltsine, limitant ainsi la politique étrangère russe. En 2003, le pays avait pratiquement remboursé la totalité de sa dette (…)

(…) renforcer la souveraineté de la Russie était la priorité absolue.

L’Occident a l’habitude d’attribuer à Poutine quelque talent de stratège avisé, mais sa principale qualité est tout autre. Il ne croit tout simplement pas à la planification à long terme et va même jusqu’à trouver cette approche dénuée de sens dans un contexte de transition générale et de rapides mutations. Il est bien plus important de développer sa capacité à réagir instantanément aux changements et à détecter de nouvelles opportunités ainsi qu’un talent pour identifier les erreurs commises par les autres et les exploiter.

Cinquièmement, conviction que la puissance militaire restera l’instrument principal (…) Les capacités militaires de la Russie ont énormément augmenté entre 2008, date d’entrée en vigueur de la réforme militaire, et 2015, au lancement des opérations militaires russes en Syrie.
Sixièmement, politique étrangère libre de toute idéologie figée, souplesse diplomatique et rejet des alliances au profit d’associations ad hoc. Sous Poutine, la politique russe a jusqu’à présent été libre de toute forme d’idéologie (…) A cet égard, la Russie post-soviétique est en opposition frappante avec les États-Unis et l’Union européenne, qui ont adopté une politique idéologique axée sur certaines valeurs après la guerre froide (…) Cette absence d’idéologie a permis de former très librement différents types de partenariats considérés de plus en plus souvent comme des groupes d’affinité créés pour résoudre des problèmes concrets (…) Mais la flexibilité est limitée par une réserve importante aux yeux de Poutine : un partenaire de longue date ne peut être lâché, peu importe sa réputation ou le nombre de problèmes que l’on s’impose en lui assurant un soutien.

(Fiodor Lioukanov)


Plus de 500 sociétés françaises sont présentes sur le marché russe. Leur chiffre d’affaires global atteint 27 milliards d’euros. La France est le premier employeur étranger en Russie avec 160 000 emplois créés, essentiellement dans le secteur de la grande distribution par Auchan, pour qui son réseau en Russie (plus de 100 hypermarchés à travers tout le pays) constitue le plus grand au monde après la France (…) La présence économique russe en France est beaucoup plus modeste. Une trentaine de sociétés russes ont investi en France 3 milliards de dollars et créé 3500 emplois.

(…) les banques françaises sont pratiquement tétanisées à l’idée de faire affaire avec les Russes. Deuxième grand obstacle : les sanctions individuelles qui frappent certains capitaines de l’industrie russe. Ces sanctions adoptées au sein de l’Union européenne d’une façon arbitraire sont complètement irrationnelles et nuisent terriblement à l’image de l’Europe en général et de la France en particulier au sein des milieux d’affaires russes.
Enfin, la campagne permanente dans les médias français contre la Russie ne donne aucune envie aux investisseurs potentiels russes de venir en France.

(Alexandre Orlov)


La Russie reste, à l’évidence, un pays où les inégalités de revenus sont élevées. Mais elle n’est plus un pays où ces dernières sont extrêmes. Les niveaux, qu’il s’agisse du coefficient de Gini ou de l’écart interdécile, sont de l’ordre de ce que l’on connaît au Portugal et en Italie. La Russie est donc loin de l’image qu’en donne une certaine presse, un pays dominé par les oligarques et la mafia.

(Jacques Sapir)


Dans une lettre du 19 mars 1922 aux membres du Politburo, Lénine écrit : « La confiscation des objets précieux, surtout dans les laures [monastères prestigieux], les monastères et les églises les plus riches, doit être opérée sans pitié, avec une fermeté sans faille et intraitable, et dans un délai le plus court possible. Plus nous pourrons exécuter de représentants de la bourgeoisie réactionnaire et de prêtres réactionnaires à cette occasion, mieux ce sera ». Ses ordres furent impitoyablement exécutés ! (…) Le bilan humain est affreusement lourd : des centaines d’évêques, des dizaines de milliers de prêtres, tout comme des dizaines de moines et de moniales, ainsi que des centaines de milliers de fidèles ont été assassinés dans l’univers concentrationnaire ou en dehors, avec un pic de 80 000 fusillés en 1937 ! Concernant les églises principalement orthodoxes, sur les quelques 55 000 que comptaient la Russie en 1914, seulement une centaine proposaient encore des offices religieux en 1939 ! De nombreux édifices avaient été détruits, d’autres étaient utilisés comme entrepôts. Quant aux monastères, dont le nombre s’élevait à 1024 avant la révolution bolchevique, ils étaient tous fermés à la veille de la Seconde Guerre mondiale, certains étaient devenus des camps du Goulag, comme aux îles Solovki (…) Durant ces soixante-dix années de terreur communiste, selon l’Institut Saint-Tikhon à Moscou, entre 500 000 et 1 million d’orthodoxes, religieux et laïcs, ont été tués pour leur foi !

Peu avant l’effondrement de l’URSS (…) la principale figure orthodoxe de cette époque, charismatique et très écoutée, est le père Alexandre Men (1935-1990). A partir de 1988, il donne des conférences publiques, est invité à la radio et à la télévision, mais il est assassiné sauvagement, pour des raisons toujours inconnues, le 9 septembre 1990.

En 1987, on compte moins de 700 églises et 22 monastères ouverts.

Dynamitée en 1931 sur ordre de Staline qui ne supportait plus de la voir de ses fenêtres, la cathédrale du Christ-Sauveur a été reconstruite à l’identique à partir de 1995 et consacrée le 19 août 2000.

Ce sont en moyenne 1000 nouvelles églises qui sont ouvertes chaque année depuis 1988 ! On s'approche aujourd'hui des 40 000. Précisons que cela concerne presque tout le territoire de l'ex-URSS : en effet, près de la moitié des églises se trouvent en dehors de la Russie, comme en Ukraine qui regroupe un petit tiers des paroisses. En outre, un millier de paroisses sont situées à l'étranger, c'est-à-dire hors du territoire canonique de l'Eglise orthodoxe russe (…) le nombre de monastères, environ 800, et des lieux d'enseignements (…) ont aussi considérablement augmenté.

Selon différentes études, de 79 à 80% des personnes interrogées se réclament de l'orthodoxie. Mais il s'agit essentiellement pour beaucoup d'une référence historique et culturelle attachée au pays. En effet les chiffres sont bien plus faibles quant à la pratique religieuse régulière, 3%, parfois un peu plus.

Rassemblant un peu plus de la moitié des croyants orthodoxes de la planète, l'Eglise russe s'est également redéployée à l'étranger, notamment en construisant des églises, souvent avec un centre culturel, comme à Paris, quai Branly…

(Christophe Levalois)


"La Russie n'a que deux alliés : son armée et sa flotte", disait l'empereur Alexandre III à la fin du XIXè siècle. Cet aphorisme connu de tous les Russes, est gravé sur le socle du monument à la mémoire de ce tsar que le président Vladimir Poutine a inauguré, le 18 novembre 2017, dans les jardins du palais de Livadia, à Yalta en Crimée.
Ainsi, pour le centenaire de la révolution bolchevique de 1917, c'était un monarque symbolique de l'ancien régime, bâtisseur de l'armée russe moderne, que Poutine avait choisi d'honorer.

L'équilibre stratégique, que l'on appelait "équilibre de la terreur" pendant la guerre froide, avait garanti l'absence de tout conflit majeur entre les Etats-Unis et l'URSS en dépit des nombreuses crises sur des théâtres d'opérations périphériques qui avaient marqué l'époque. Son postulat de base était la doctrine de la "destruction mutuelle assurée" dont l'acronyme anglais MAD ("fou") révélait la logique : il fallait avoir perdu la raison pour lancer une attaque nucléaire qui provoquerait des représailles massives.

Lorsque Vladimir Poutine accéda au pouvoir, en 1999, d'abord comme Premier ministre puis comme président, l'année suivante, il ne voyait, de son propre aveu, aucune objection à ce que, à terme, la Russie entrât dans l'Otan. Pour lui, la création du Conseil conjoint Otan-Russie, inauguré en grande pompe à Rome, le 28 mai 2002, représenta l'aboutissement de ses efforts : désormais, son pays siégeait sur un pied d'égalité avec chacun des 19 membres de l'Alliance, avec les mêmes droits et prérogatives que les autres.
Il se rendit vite compte que ce n'était qu'une victoire à la Pyrrhus. Ce Conseil n'était qu'une structure en trompe-l'œil, sans pouvoir réel, destiné à faire admettre à la Russie l'abandon par les Etats-Unis du traité ABM.

(…) l'abandon du traité devint effectif deux semaines après la rencontre de Rome. Moscou se persuada rapidement que, avec le retrait de l'ABM, Washington poursuivait un plan pour sortir aussi du MAD : les progrès technologiques permettaient la création d'un bouclier anti-missile perfectionné qui pouvait donner aux Etats-Unis un avantage stratégique déterminant en contrant la capacité nucléaire russe. Deux éléments plaidaient en ce sens : l'élargissement continuel de l'Alliance vers l'est avec l'adhésion de pays qui faisaient jadis partie du bloc soviétique (l'Otan compte 29 membres depuis 2017) et l'installation dans certains de ces pays d'éléments du bouclier antimissile, notamment en Pologne et en République tchèque, mais aussi en Roumanie et en Bulgarie, sans parler, à l'autre extrémité du territoire russe, du Japon et de la Corée du Sud.

D'abord, le nouveau missile hypersonique Kinjal ("dague") capable d'atteindre une vitesse de mach 10 en changeant de trajectoire et délivrant des ogives nucléaires ou conventionnelles à plus de 2000 kilomètres de son point de lancement. Il est entré en dotation cette année dans les forces aériennes russes.

Et enfin, (…) le nouveau missile intercontinental lourd Sarmat, de plus de 200 tonnes, sans restriction de portée et équipé, selon la défense russe, d'un large éventail d'ogives nucléaires, notamment hypersoniques.

(Pierre Lorrain)

(extraits d'un dossier "Le retour de l'Aigle russe" paru dans Valeurs actuelles, 14-20 novembre 2019)

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