Nombre total de pages vues

dimanche 26 octobre 2025

« Les alaouites : de la doctrine cachée au pouvoir exposé »

(…) les héritiers d'une tradition religieuse initiatique et singulière, enracinée dans les replis montagneux de la Syrie (…)

Cette communauté a été nommée alaouite par les Français, lors de leur mandat en Syrie au XXe siècle. Avant on les disait nosayrites, en référence à Ibn Nosayr, un disciple dissident du onzième imam chiite Hasan al-Askari, dans l'Irak abbasside du IXe siècle (…) il aurait élaboré une doctrine ésotérique centrée sur la divinisation d'Ali et l'interprétation symbolique des prescriptions religieuses. Ses partisans, marginalisés dans les centres du pouvoir musulman et persécutés, trouvent refuge dans les montagnes côtières de Syrie (…)

Les alaouites, accusés par leur adversaire de taqia, dissimulation (…)


(…) le cœur de la doctrine alaouite repose sur une trinité (AMS), composée de trois manifestations divines: Ali, la Signification, est le principe divin suprême ; Muhammad, le Nom, en est la manifestation prophétique ; et Salman, chrétien persan converti à l'islam, la Porte, médiateur entre le divin et les hommes (…) Ainsi, de même que l'Un chez Plotin déborde de lui-même pour produire le monde, la Signification s'épanche en Nom et Porte pour rendre le divin accessible.

Beaucoup d'études considèrent que les alaouites professent la transmigration les âmes (métempsychose), croient en un univers structuré par des cycles cosmiques et interprètent les obligations rituelles islamiques comme des vérités spirituelles intérieures. Les interdits alimentaires ne seraient pas systématiquement observés selon les normes islamiques classiques et la consommation d'alcool serait fréquente. Pratiquant une lecture ésotérique du Coran, leur doctrine se trouverait dans des textes réservés aux cercles initiés, et jamais divulgués (…) Seuls les hommes peuvent être initiés, normalement à l'âge de 15 ans. Par ailleurs, on alaouite, on ne le devient pas.


(…) les corpus juridiques classique sunnites les excluent de la Umma (…)

Sous l'Empire ottoman, ils sont considérés comme hérétiques par l'orthodoxie sunnite, et exclus des cadres juridiques du millet.

En l'absence de reconnaissance officielle, ils sont soumis à l'arbitraire local, parfois contraints à payer des taxes exceptionnelles, et périodiquement victimes d'expéditions punitives (…)


Cette situation change à partir de l'installation du mandat français sur la Syrie, à la suite du démantèlement de l'Empire ottoman. En 1920, dans le cadre de sa politique des minorités, la France établit un « État des Alaouites » distinct, centré sur Lattaquié, et séparé du reste de la Syrie mandataire (…) Cet État subsiste officiellement jusqu'en 1936 (…)

Recrutés dans les troupes spéciales du Levant, ils acquièrent discipline, formation, et surtout un statut que leur société d'origine ne leur offrait pas. Parallèlement, les écoles ouvertes par les autorités françaises ou par des institutions missionnaires permettent à une première génération d'alaouites d'accéder à une culture écrite et à des fonctions intermédiaires (…)


En 1963, le coup d'État du parti Baath marque un tournant. Nationaliste, socialiste et se réclamant de l'unité arabe, il attire nombre de jeunes officiers issus de milieux modestes, en particulier alaouites (…)

En février 1966, un nouveau coup d'État interne au Baath porte au pouvoir une faction radicale dominée par des officiers alaouites. Le processus culmine avec l'arrivée au pouvoir de Hafez al-Assad en 1970, à la faveur d'un ultime putsch (…)

Si le régime se présente comme laïc, modernisateur et arabe (…) Le lien communautaire n'est jamais revendiqué publiquement, mais il sous-tend l'organisation d'un État qui se bunkérise (…) le régime (…) concentre les centres de commandement réels - défense, renseignement, finances- entre les mains d'un cercle étroit. Cette double logique, d'apparence pluraliste mais de fonctionnement restrictif, permet au pouvoir d'absorber les contradictions d'un pays multiconfessionnel sans réellement les résoudre.

La communauté alaouite, qui représente environ 10 à 12 % de la population syrienne, se trouve ainsi surreprésentée dans les secteurs névralgiques de l’État (…)

Le régime se présente comme un bastion pro-palestinien de résistance contre Israël et l'impérialisme occidental, tout en nouant des partenariats discrets avec des puissances occidentales lorsque cela sert ses intérêts (…)


La guerre accentue ainsi un double phénomène. D'un côté, la communauté alaouite devient le socle militaire du régime, surreprésentée dans les unités de terrain, les services de renseignement et les milices supplétives. De l'autre, elle devient la cible privilégiée de certains groupes rebelles, non pas en tant qu'individus, mais en tant que groupe assimilé au pouvoir.


(Extrait d'un article d'Antoine Fleyfel, in Bulletin de l'Œuvre d'Orient, 3è trimestre 2025)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire