"Il a mobilisé la
langue anglaise et l'a envoyée au combat" : c'est ainsi que le
président Kennedy résumera le mérite le plus éclatant de Winston Churchill…
De fait, dès son arrivée
au pouvoir, Churchill règne par le verbe, sans effets de manches et sans
improvisations : aux Communes, il lit d'une voix plutôt douce des textes
préparés de longue date, et certaines de ses phrases les plus célèbres ne sont
pas de lui : "Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, du
labeur, des larmes et de la sueur", c'est emprunté à Garibaldi, qui
s'adressait ainsi à ses Chemises Rouges quatre-vingts ans plus tôt. Dans son
discours du 4 juin, "Nous nous battrons sur les plages, dans les
champs, dans les rues…", c'est un autre emprunt - à Clémenceau cette
fois. Mais les députés britanniques, eux l'entendent pour la première fois, et
la conviction, la combativité, les cadences, les métaphores, les injonctions et
les évocations qui s'expriment dans ces discours sont absolument uniques, de
sorte que beaucoup de députés pleurent -même les plus endurcis.
Pourtant, dès son arrivée
à Downing Street, depuis son bureau, sa voiture, son train, son lit et même sa
baignoire, il dicte jusque tard dans la nuit à l'intention du comité des chefs
d'état-major et des divers ministères des centaines de notes incitatrices,
inquisitrices et comminatoires, invariablement surmontées de petits étiquettes
rouges portant la mention : « Action this Day », qui frappent de
terreur les bureaucrates les plus nonchalants et garantissent une prompte
exécution ; les atermoiements ne sont plus admis, les standards téléphoniques
voient quadrupler leur efficacité, les chefs d’état-major et les services de
planification siègent pratiquement sans discontinuer, les horaires de travail
réguliers ont disparu et les week-ends avec eux…
Churchill se distingue d’Adolf
Hitler en ce qu’il sait non seulement donner des ordres, mais aussi en contrôler
personnellement l’exécution…
A la suite de ces excursions,
les ministres, les fonctionnaires et les officiers sont soumis à un nouveau
bombardement de notes et de directives, pouvant aisément comporter cette
mention : « Veuillez me faire savoir en quoi la situation s’est
améliorée depuis ma visite d’hier »… Si la réponse n’est pas
satisfaisante, les responsables sont convoqués et invités à s’expliquer ;
si certains facteurs ralentissent la production, le Premier ministre veut
immédiatement savoir lesquels ; si l’obstacle vient de l’excès ou du
manque de zèle de certains fonctionnaires, il exige des noms ; si les
délais proviennent de querelles de compétences entre deux ministères, il leur
retire la mission pour la confier à un troisième…
Que faire en vérité d’un
chef d’orchestre virtuose, mais perpétuellement tenté de descendre de son
pupitre pour jouer la partition du violoniste ou celle du trompettiste, tout en
prétendant continuer à diriger l’orchestre ?
En l’occurrence, cet
enthousiasme stratégique débridé produit certains plans d’actions
potentiellement catastrophiques, comme les projets d’invasion de la Norvège en
1941, de débarquement en France dès 1942, de capture des îles du Dodécanèse en
1943, et d’offensive par la côte nord de l’Adriatique en 1944. Par chance, le
maestro est solidement encadré par des stratèges moins inspirés, mais plus
pondérés et bien mieux formés (…) Leur mission sera de lui tenir tête – souvent
jusqu’aux petites heures de la matinée -, et son mérite sera de les écouter
dans les moments décisifs…
(…) faiblesses qui peuvent
être rédhibitoires pour un diplomate : il parle trop abondamment, dévoile
trop facilement ses intentions, n’écoute pas suffisamment ses interlocuteurs,
se montre souvent trop confiant et – surtout à partir de 1943 – tend à négliger
les rapports qui lui sont adressés.
« Dans ce grand
drame, il fut le plus grand », dira Charles de Gaulle.
(François Kersaudy, Glénat/
Fayard)
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