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lundi 14 octobre 2019

Churchill

"Il a mobilisé la langue anglaise et l'a envoyée au combat" : c'est ainsi que le président Kennedy résumera le mérite le plus éclatant de Winston Churchill…

De fait, dès son arrivée au pouvoir, Churchill règne par le verbe, sans effets de manches et sans improvisations : aux Communes, il lit d'une voix plutôt douce des textes préparés de longue date, et certaines de ses phrases les plus célèbres ne sont pas de lui : "Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur", c'est emprunté à Garibaldi, qui s'adressait ainsi à ses Chemises Rouges quatre-vingts ans plus tôt. Dans son discours du 4 juin, "Nous nous battrons sur les plages, dans les champs, dans les rues…", c'est un autre emprunt - à Clémenceau cette fois. Mais les députés britanniques, eux l'entendent pour la première fois, et la conviction, la combativité, les cadences, les métaphores, les injonctions et les évocations qui s'expriment dans ces discours sont absolument uniques, de sorte que beaucoup de députés pleurent -même les plus endurcis.

Pourtant, dès son arrivée à Downing Street, depuis son bureau, sa voiture, son train, son lit et même sa baignoire, il dicte jusque tard dans la nuit à l'intention du comité des chefs d'état-major et des divers ministères des centaines de notes incitatrices, inquisitrices et comminatoires, invariablement surmontées de petits étiquettes rouges portant la mention : « Action this Day », qui frappent de terreur les bureaucrates les plus nonchalants et garantissent une prompte exécution ; les atermoiements ne sont plus admis, les standards téléphoniques voient quadrupler leur efficacité, les chefs d’état-major et les services de planification siègent pratiquement sans discontinuer, les horaires de travail réguliers ont disparu et les week-ends avec eux…

Churchill se distingue d’Adolf Hitler en ce qu’il sait non seulement donner des ordres, mais aussi en contrôler personnellement l’exécution…

A la suite de ces excursions, les ministres, les fonctionnaires et les officiers sont soumis à un nouveau bombardement de notes et de directives, pouvant aisément comporter cette mention : « Veuillez me faire savoir en quoi la situation s’est améliorée depuis ma visite d’hier »… Si la réponse n’est pas satisfaisante, les responsables sont convoqués et invités à s’expliquer ; si certains facteurs ralentissent la production, le Premier ministre veut immédiatement savoir lesquels ; si l’obstacle vient de l’excès ou du manque de zèle de certains fonctionnaires, il exige des noms ; si les délais proviennent de querelles de compétences entre deux ministères, il leur retire la mission pour la confier à un troisième…

Que faire en vérité d’un chef d’orchestre virtuose, mais perpétuellement tenté de descendre de son pupitre pour jouer la partition du violoniste ou celle du trompettiste, tout en prétendant continuer à diriger l’orchestre ?
En l’occurrence, cet enthousiasme stratégique débridé produit certains plans d’actions potentiellement catastrophiques, comme les projets d’invasion de la Norvège en 1941, de débarquement en France dès 1942, de capture des îles du Dodécanèse en 1943, et d’offensive par la côte nord de l’Adriatique en 1944. Par chance, le maestro est solidement encadré par des stratèges moins inspirés, mais plus pondérés et bien mieux formés (…) Leur mission sera de lui tenir tête – souvent jusqu’aux petites heures de la matinée -, et son mérite sera de les écouter dans les moments décisifs…

(…) faiblesses qui peuvent être rédhibitoires pour un diplomate : il parle trop abondamment, dévoile trop facilement ses intentions, n’écoute pas suffisamment ses interlocuteurs, se montre souvent trop confiant et – surtout à partir de 1943 – tend à négliger les rapports qui lui sont adressés.

« Dans ce grand drame, il fut le plus grand », dira Charles de Gaulle.

(François Kersaudy, Glénat/ Fayard)

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