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dimanche 21 avril 2019

"L'ère des premiers de couvée"




"Le dispositif argumentaire implicite ou explicite mis en scène et répété à l'envi dans ces produits culturels mainstream (et qui vaut aussi pour les fantasmes transhumanistes) est le même que pour toutes les innovations technologiques des trente dernières années. 

Première étape : on normalise. On inscrit dans une tradition, on naturalise et on rapproche de pratiques adaptées, par (fausse) analogie (…) on (ré) intègre le nouveau, le différent, dans l'ordre du monde connu, maîtrisé.

Deuxième étape : On ouvre les champ des possibles. Les conséquences ne sont envisagées qu'en fonction d'objectifs louables. Pour la PMA, l'aide aux parents stériles ; pour le DPI (diagnostique préimplantatoire) et les thérapies géniques, la suppression de maladies horribles. Des situations promptes à susciter l'empathie (…)

Troisième étape : on distingue les partisans des opposants. Les premiers sont aussi semblables que possible au public visé, mais surtout modernes, raisonnables, généreux, tolérants, chaleureux. Les seconds, en revanche, sont conservateurs, bornés, retardés, irrationnels, insensibles, sectaires. Au passage, on montre que, puisqu'il serait inhumain de rejeter ceux qui l'ont fait, le faire est bien, donc souhaitable.

Enfin, dernière étape : on fait comprendre que c'est déjà-là, tendance, inéluctable, donc logique, cohérent, qu'il faut donc légiférer pour encadrer, non pas pour interdire, et que de toute façon le refuser, c'est l'avoir quand même puisque les autres, eux, le feront.

Et bien sûr, pas un mot de trop sur les risques immenses que fait courir l'eugénisme à l'espèce humaine et aux individus qui la composent.

Le premier problème est celui du pouvoir : qui contrôle effectivement le processus ? (…) C'est bientôt, en sus des caractéristiques de l'enfant lui-même, tout le processus de procréation qui pourra être industrialisé c'est-à-dire séparé de la biologie des parents. Autrement dit, en flattant les désirs du consommateur (avoir un enfant quand on veut et comme on le veut) et en le mettant à l'abri du hasard, on livre l'une des plus essentielles (et des dernières) libertés humaines au contrôle techno-scientifique et à tous les intérêts qu'il y a derrière : proprement techniques, mais aussi commerciaux ou étatiques (…)

Le deuxième problème tient à l'absence de consentement éclairé du principal intéressé alors même que la décision de modification de ses caractéristiques l'engage inéluctablement (…) le "modifié" devra vivre avec les fantasmes ou les bons sentiments de ses parents ou encore avec les normes sociales qui ont été imposées (…) Bref, un déterminisme arbitraire s'ajoutera à tous les autres (…)

Troisième problème : comment détermine-t-on ce qu'est une maladie, a fortiori une maladie à éliminer, et comment détermine-t-on ce qu'est un trait physique ou psychique acceptable, souhaitable ? (…) Être colérique, est-ce une maladie ? Avoir des cordes vocales limitées, qui ne permettent pas de chanter au-delà d'une octave, est-ce une maladie ? Avoir un gros nez ou des petits seins, qui amènent des frustrations et des complexes, est-ce une maladie ?

Quatrième problème : (…) les choix individuels, même libres, ont tendance à s'aligner les uns sur les autres (…) Dans le domaine génétique, c'est extrêmement inquiétant puisque cela impliquerait pour l'espèce humaine ce que l'élevage a impliqué pour les espèces animales (et végétales) : une perte drastique et catastrophique de biodiversité. A l'échelle individuelle, le hasard peut être cruel, mais à l'échelle de l'espèce, il est et sera toujours plus créatif et facteur de diversité que l'ensemble des décisions individuelles.

Cinquième problème : comme le demandait le film Gattaca (1997), sera-t-on encore vraiment libre de choisir d'utiliser ou non ces techniques ?"

(extraits d'un article de Frédéric Dufoing, in Limite, juillet 2018)

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