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dimanche 28 avril 2019

"Comment le désir a remplacé la vertu dans le débat public"

""Je ne sais pas ce que sont le bien et le mal" : voilà ce que Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), a déclaré dans une interview donnée à Valeurs actuelles au mois de mars dernier. Un tel relativisme, à un tel niveau de responsabilité sidère.

(…) des Anciens, qui plaçaient la notion de "virtu" au cœur de toute vie civique accomplie. Est vertueux celui qui ne se soustrait pas à son devoir et dont le but trouve sa juste mesure dans le service rendu à la collectivité. "La vertu morale assure la rectitude du but que nous poursuivons et la prudence celle des moyens pour y parvenir", disait Aristote. Pour les Anciens, l'homme ne déploie sa vertu que dans le cadre de la Cité. Ce n'est que dans ce contexte qu'il peut dépasser le stade primaire du désir et des besoins, et ainsi devenir libre, à même d'employer sa raison au service du bien commun (…)

Les revendications politiques, contemporaines, "particulariste" - néoféministes, "antiracistes" ou relatives à la sexualité - contribuent à déchoir le citoyen de sa vertu, consacrent l'annexion de la raison commune par la raison subjective, la victoire de Narcisse sur Aristote (…)

Pour les "particularistes", la vérité es un rapport de force (…) le fruit d'un mouvement qui, pour avance, doit déblayer le terrain des préjugés et autres considérations éculées, qui n'ont de sacré que l'antériorité du rapport de force qui a consacré jadis leur triomphe. Comme le dit encore Delfraissy : "le rôle du CCNE est d'écouter le milieu associatif et aussi de savoir ce que la science pense et ce qu'elle a envie de faire bouger". "Bouger" : le rôle de l'éthique est de suivre le mouvement (…)

Le débat sur l'euthanasie est à ce titre éclairant. Il oppose deux conceptions de la "dignité", l'une reposant sur l'étant, l'autre sur l'être ; l'une pour qui la dignité de l'homme est chose quantifiable, mesurable, affaire de ressenti, de jugement individuel et peut donc diminuer ou être augmentée, réparée : l'autre pour qui la dignité de l'homme est consubstantielle à sa nature, une qualité intrinsèque (…)

Dans La crise de la culture, Hannah Arendt souligne que le processus est ce qui caractérise les changements actuels, nourrissant une nouvelle forme s'asservissement (…)

La manière avec laquelle Jean-François Delfraissy entend baliser le champ de la discussion publique sur la PMA est caractéristique de ce rapport purement processuel, historique, ontique à la vérité, à l'humain et à la vie qui triomphe aujourd'hui. "A titre personnel, confie-t-il, chacun a sa vision de l'éthique (…) Entre les innovations de la science et celles de la société, il n'y a pas de bien et de mal. Il y a un équilibre à trouver qui doit s'inscrire dans la notion de progrès." (…)

Si nous n'avions pas de fondements, qu'est-ce ui nous empêcherait d'assimiler le cannibalisme à une pratique culturelle tout à fait tolérable ?
Quand il n'y a plus de vérité première, de bases communes, de socles moraux, lorsqu'un fondement devient relatif - ô oxymore !-, que "l'éclat de la réalité" (Simone Weil) s'éclipse sous la morgue du subjectivisme, le débat n'oppose plus que deux camps : celui du Progrès - de la vérité de demain - et celui du monde d'hier - de la vérité dépassée.

(…) "modernisme", ce "système de déclinaison mutuelle" qui, comme le rappelait Péguy, "consiste à ne pas croire soi-même pour ne pas léser l'adversaire qui ne croit pas non plus" ; Le cirque médiatique en témoigne. Plus personne ne croit plus en rien et ne se bat pour qu'il en soit différemment, préférant disqualifier, si possible d'un ton narquois, toute tentative d'endiguement du processus moderne de déconnexion de l'éthique et de l'ontologie."

(Max-Erwann Gastineau, in Limite, mai 2018)

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