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lundi 14 septembre 2015

René Girard vs Bob Dylan

Je n'ai jamais aimé la musique de Dylan, à part quelque chansons. 
Après la vision du documentaire de Scorsese, je n'aime pas trop le bonhomme. 
Exemple édifiant d'un personne mue par le désir mimétique, dans le domaine "artistique". 

Grosse énergie, gros ego, grande détermination. 
Mais mû par la simple volonté de se distinguer des autres, de devenir célèbre. 
Ne sachant pas qui il est ni qui il aimerait devenir, mais avançant avec la détermination du héros qui se rêve un parcours initiatique spécial, il est dans l'imitation de tous les modèles qu'ils trouvent le long de sa quête. 
Une éponge. Zelig. Il change de nom d'autant plus facilement qu'il n'a pas d'identité propre. Il n'est que "contre".  

Mimesis avec Woody Guthrie. 
"Tous les grands interprètes que je voulais imiter avaient un point commun : un certain regard. Un regard qui disait : « je sais quelque chose que tu ignores"." 

Issu du peuple élu, dans une Amérique dominante et paranoïaque.... 

Cf http://www.oraetlabora.net :
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On retrouve dans le parcours du héros mythique le processus du sacrifice dans la violence.
Le héros est celui qui sort du lot commun (comme le bouc émissaire).
Il défie son père, le vainc, sort de sa famille pour réaliser son rêve, vivre son idéal. Il sacrifie le complexe familial, son affection, à l'ambition de régner, de découvrir, d'écrire etc…  "Le fils de ses parents se métamorphose en fils de ses œuvres" écrit Serge Moscovici. Il veut entrer dans le monde des élites, devenir signifiant, se distinguer.
Romulus, Moïse, Luke Skywalker sont tous des enfants abandonnés, recueillis par une famille de souche "sociale" opposée à leur famille génitale (cf le bouc émissaire considéré comme « corps étranger » à la société ; cf l’origine des dictateurs).
La démarche héroïque de différentiation relève du désir mimétique. En effet tout modèle peut se transformer en un anti-modèle. Dès lors, au lieu de ressembler, il s'agit désormais de différer.
Or autant le double est une réalité, autant la différence est folle, hallucinatoire.
D’ailleurs elle ne peut que s’effacer un jour. On retombe alors sur les doubles, et c’est reparti pour un tour dans le manège mimétique.
Le héros mythique est pris au jeu de la violence mimétique.
(…)
Les manuels du succès (amour, affaires…) prolifèrent.
Ils présentent une stratégie du rapport à l'autre dont la recette unique est : pour réussir, il suffit de donner l'impression que c'est déjà fait. Chacun s'efforce de prouver à l'autre qu'il possède déjà l'enjeu de la lutte : la certitude rayonnante de sa propre supériorité. H.W. Gabriel nous apprend par exemple « Comment dominer et influencer les autres » : « La seule méthode qui soit efficace et facile à appliquer est celle qui consiste à se voir tel qu’on désire être et agir comme si on l’était déjà. Je ne connais aucun exemple de célébrité qui se soit forgé un pouvoir personnel sans l’avoir d’abord utilisée. »
C’est du reste une technique bien éprouvée par les nazis, comme le rappelle Primo Levi : « L. n’ignorait pas que passer pour puissant, c’est être en voie de le devenir… 

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Les copains de Bob Dylan pensaient qu'il revenait transformé, après une absence de quelques mois. "Il a dû vendre son âme au diable."

L'important, c'était de se distinguer. 
"Happy ? Anybody can be happy. What's the purpose of that". 

Prêt à voler l'inspiration de ses amis. 

L'histoire de son succès : où comment un artiste qui atteint la célébrité l'atteint par ce qu'il a voulu l'atteindre. Avant tout. Indépendamment de la qualité de ses œuvres.

Un côté rongeur au sang froid. 
Plaît pourtant à son alter ego féminin à la voix chevrotante, Joan Baez. 
Moins froide mais aussi orgueilleuse, se mettant directement en rivalité quand des amis vont lui présenter un (autre) "génie" (qu'elle). 

L'artiste contemporain typique, qui se fout de l'art. 
Rit en pensant "un jour des crétins vont analyser mes conneries et alors que moi j'y comprends rien, eux ils en trouveront, un sens".

Mais qu'est-ce qui distingue Bob Dylan de toutes les stars engendrés par cette époque ? C'est sa posture d'artiste authentique.  Ce qui m'interpelle, chez lui, c'est que :
1) ce qui a été véritablement déterminant dans son succès, ce n'est pas son art, justement, mais sa volonté ;
2) cela se voit immédiatement qu'il n'a rien d'un génie dans son domaine : son côté introverti, sa voix nasillarde, ses flots de textes alambiqués  masquant une pauvreté musicale…

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