Mon père, pourtant, lui avait donné sa chance dès ce moment-là : on ne rappelle pas assez que Mitterrand fut secrétaire général aux prisonniers de guerre dans son gouvernement, dès août 1944. Pour lui faciliter la tâche, le Général alla même jusqu’à demander à son propre neveu, Michel Cailliau, de fondre le réseau Charette qu’il animait alors dans le Mouvement national des prisonniers, que voulait diriger Mitterrand.
Voilà tout Mitterrand : susciter des monômes pendant que l’ennemi occupe encore une bonne partie du territoire !
C’est dès l’origine par conséquent que François Mitterrand s’est séparé du général de Gaulle : il a ainsi manqué de s’insérer dans une trame historique qu’il ne peut revendiquer sans tromper le pays…
Quelle est donc votre conception du rassemblement ?
Quand le général de Gaulle appelait les Français à se rassembler, ce n’était pas un artifice destiné à grappiller des voix avant une échéance électorale. Il leur demandait de faire abstraction pour un temps de leurs différences et de leurs origines partisanes pour défendre ensemble la patrie en danger.
Que fut l’épopée de la France libre, sinon la longue marche d’une minorité d’hommes que tout séparait, si ce n’est la certitude qu’ils réuniraient un jour une majorité de Français ? Pensez aux drames de 1940 : les Anglais bombardant la flotte française à Mers el-Kébir ; des Français tirant à Dakar sur d’autres Français envoyés en parlementaires !
Tout cela n’a pas empêché la poignée d’hommes que nous étions d’œuvrer obstinément pour la restauration de l’indépendance française en dépit de tout ce qui pouvait nous opposer à ceux que nous rencontrions au fur et à mesure.
Vous avez servi vous-même dans le régiment blindé de fusiliers marins de la division Leclerc. Or, ce régiment était composé d’hommes qui avaient combattu contre les Anglais et avaient chanté Maréchal, nous voilà !. Comment aviez-vous vécu ces différences ?
Quand je me suis engagé dans ce régiment de la 2e DB, j’étais le seul homme provenant des Forces françaises libres. Aucun autre n’appartenait aux rangs gaullistes. Voilà qui n’a pas été de tout repos dans les premiers temps, mais qui nous a renforcés, tous autant que nous étions, dans la conviction qu’il fallait dépasser nos origines politiques pour tendre vers un objectif supérieur.
L’esprit de la Résistance n’était pas différent : quoi de commun entre les socialistes qu’on y rencontrait, les maurrassiens qui s’y ralliaient, et les communistes qui y sont venus à partir de 1941 ?
En 1946, le clivage entre droite et gauche s’est reconstitué. Le général de Gaulle a réclamé la réforme des institutions. Comment définiriez-vous aujourd’hui la droite et la gauche ?
Il est vrai que, pour mon père, les notions de droite et de gauche signifiaient peu de choses face aux impératifs historiques du redressement. Il n’est pas faux non plus qu’il y eut chez les gaullistes des gens pour se proclamer de gauche et d’autres qui se voulaient plus conservateurs. Mais ces différences de sensibilités ne se sont jamais traduites en termes politiques. Quand des “gaullistes de gauche” comme Louis Vallon, René Capitant ou le général Billotte se présentaient à une élection quelconque, il y avait toujours en face d’eux un socialiste ou un communiste qui incarnaient un autre choix de société.
Ce qui veut tout de même dire que deux conceptions du monde coexistent dans la vie politique française…
Oui, mais elles tiennent surtout à la conception de l’homme que se font les uns et les autres. Aujourd’hui comme hier, il y a ceux qui veulent une société de liberté et ceux qui ne conçoivent le gouvernement des hommes que par le nivellement.
La droite, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, se bat pour une société d’initiative, sanctionnée par une règle du jeu commune qui permet à tous les citoyens de se développer selon leurs aptitudes.
La gauche, à l’inverse, voudrait créer un type d’homme unique, formé par la contrainte cachée par la démagogie : c’est une forme moderne du servage, puisqu’elle conduit les citoyens à s’en remettre aux choix d’une oligarchie d’appareil qui décide à leur place de ce qui est bon pour eux.
Là réside le clivage presque théologique qui nous sépare des socialistes : c’est parce que nous savons que tout ne peut pas être réglé par l’homme et que le monde est foncièrement inégalitaire que nous voulons l’améliorer en nous servant des meilleurs pour tirer les autres vers le haut. Telle n’est pas la conception de la gauche, qui, à l’instar de la fable de La Fontaine, préfère couper la queue de tous les renards pour rendre la masse identique à celui qui n’en a pas.
En refusant d’admettre que le sort est maître de beaucoup de choses et que ce qui est inégal chez les hommes est souvent déterminé de façon transcendantale au-delà de leurs choix et même de leur compréhension, les socialistes refusent en fait le libre développement de l’homme qu’au nom d’une égalité mythique ils veulent, par la contrainte ou la résignation, fondre dans un système collectiviste aseptisé par la doctrine.
Un autre clivage ne sépare-t-il pas ceux qui croient encore à la France et ceux qui n’y croient plus ? Ceux qui fondent leur action sur le socle national et ceux pour qui la notion de patrie est dépassée ?
Ce clivage existe tout à fait. Il est le lot de toutes les périodes où la décadence menace. Refuser l’identité nationale et l’effort qu’elle impose aux vrais citoyens est une fuite en avant qui ne présage rien de bon pour l’avenir. Fermer les yeux sur la lutte biologique qui oppose les nations et les systèmes politiques, c’est se mettre en position d’être vaincu par plus fort que soi. C’est sacrifier sa liberté à des mythes sans fondement…
N’est-ce pas ce que risquent de faire ceux qui mènent campagne à la fois pour la société multiculturelle et pour le vote des étrangers ?
C’est détruire l’identité française que de pousser les gens à affirmer leurs différences et à refuser l’assimilation. Notre pays n’a été grand que parce qu’il a offert un creuset culturel commun aux vagues d’immigrants qui ont accepté de s’y fondre. L’assimilation, c’est le contraire de la société multiculturelle que souhaitent les socialistes.
L’exemple du malheureux Liban nous montre ce qu’il advient des États qui admettent que des communautés n’obéissant pas à sa loi s’installent et se développent en son sein.
Face à la gauche, dont vous venez de décrire la philosophie, la majorité RPR-UDF dispose, en gros, de 45 % des voix. Elle ne peut gagner l’élection présidentielle sans obtenir le report des suffrages qui, jusqu’à présent, se sont portés sur le Front national. Comment résoudre cette équation ?
Les électeurs du Front national appartiennent à deux catégories : une petite minorité d’irréductibles qui refusent par principe le système en place. Et je dirai même : la République quelle qu’elle soit. Ce sont des gens qui ont souffert, ont été victimes d’injustices ou ont été marqués par les cicatrices de l’histoire.
Mais la grande majorité des électeurs du Front national savent où se trouve leur intérêt : s’ils reprochent au RPR et à l’UDF de ne pas être allés assez loin dans certains domaines (l’immigration en particulier), ce n’est pas pour se jeter au deuxième tour dans les bras d’un parti qui incarne l’inverse de leur philosophie.
Vous-même, pourquoi vous être engagé à 66 ans dans le combat électoral ?
C’est l’importance décisive de l’échéance présidentielle qui m’a décidé. Après quarante-deux ans et demi de métier militaire, j’aurais pu profiter de la retraite en taillant mes rosiers. Mais le choix de société qui nous est imposé m’a semblé si profond et ses implications tellement graves, que je n’avais en fait qu’une unique solution : m’engager au côté de Jacques Chirac.
(in Valeurs actuelles)
Philippe de Gaulle est décédé le 13 mars 2024, aux Invalides, à 102 ans.
Fils du général de Gaulle, mais marin, jusqu’au grade d’amiral, exerçant les fonctions d’inspecteur général de la marine, il fut ensuite sénateur de Paris (1986-2004).
Il était grand-croix de la Légion d’honneur et grand-croix de l’ordre national du Mérite.
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