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dimanche 5 février 2023

Préface d'Ivan Marcil aux "Écrits mystique" de Julienne de Norwich (2007)

Julienne s’inscrit dans une tradition érémitique bien établie et florissante en Angleterre. Les ermites logeaient près des portes des villes, près des ponts ou des églises. Ils étaient bien accueillis par les habitants du lieu : de modestes revenus leur étaient même assurés. Un indice de leur qualité de vie se révèle par le fait qu'ils vivaient vieux ! En retour, ces solitaires épris de Dieu offraient leurs prières pour leurs bienfaiteurs. Ils exerçaient différents travaux, selon les charismes de chacun. On les consultait parfois en vue d'une écoute spirituelle.

La vocation du reclus est à distinguer de celle de l'ermite, le reclus étant confiné toute sa vie dans le même espace.


Plus tard, Julianne mais par écrit les seize révélations qu'elle a reçues de Dieu, sous le titre Book of Showings (…) Elle devient ainsi la première femme de lettre anglaise.


(…) Norwich, seconde ville d’Angleterre après Londres.


Les apparitions arrivent souvent à des personnes non préparées, recevant un message objectif pour une communauté de croyants : c'est le cas de Lourdes et de Fatima. « À l'inverse, dans l'expérience et la vie des mystiques, la vision, quelques fois accompagnée de paroles ou d'autres perceptions, s’insère profondément dans un itinéraire spirituel qu'elle souligne et fortifie » (« Le Dieu des mystiques », Charles-André Bernard).


« Si Notre-Seigneur m'a parlé aussi, c'est pour nous rendre joyeux et heureux. »


« Dieu, en ta bonté, donne-toi à moi. Tu me suffis. Je ne peux rien demander d’inférieur à ce qui te glorifie pleinement. Sinon, il me manque toujours quelque chose. En toi seul, j'ai tout. »


Le péché (…) rend ainsi l'homme aveugle à l'amour extraordinaire que Dieu nous porte.


En bref, pour la personne comme pour la communauté, sans cesse la miséricorde de Dieu « est à l'œuvre pour que toute chose tourne bien pour nous ».


Le All shall be well de la recluse de Norwich est certainement son affirmation la plus connue. Cette phrase célèbre, Julienne a cru l’entendre du Christ : « Le péché est inéluctable, mais tout finira bien, tout finira bien, toute chose quelle qu’elle soit, finira bien. »


Mais pourquoi Dieu ne nous révèle-t-il pas dès maintenant ce qu'il fera à la fin de l'histoire ? (…) « La bonté et l'amour de Notre-Seigneur veulent que nous en sachions l'existence, mais sa puissance et sa sagesse, en vertu de ce même amour, veulent nous voiler et cacher ce qu'elle sera et comment elle s'accomplira ».

Il ne fait pas de doute pour Julienne que ce silence de Dieu provienne d’une intention d’amour en notre faveur (…) Est-ce que cela nous procurerait un accroissement notable de vie chrétienne que de connaître la nature de ce secret alors que l'Évangile est déjà si mal vécu ? De plus, Dieu n'a-t-il pas droit au secret lui aussi, au secret qui protège parfois du manque d'amour et de respect ? Le fait de ne pas connaître ce secret s’avère une occasion de manifester notre confiance en Dieu qui sait mieux que nous ce qui nous convient. N'est-ce pas l'attitude de Jésus de Nazareth qui, en acceptant de ne pas connaître tous les desseins du Père, s’est abandonné à lui sans réserve ? (…)

Quoi qu'il en soit, cette résurrection avec le Christ, comme le dénouement du All shall be well, sont des événements de salut absolument inimaginables et hors de notre portée. Il semble plus probable que le secret de Dieu provienne de notre incapacité à comprendre les réalités spirituelles plutôt que d'une volonté délibérée de sa part de nous cacher quelque chose (…)

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique confirme cette limite de la raison en affirmant que ce n'est que dans la gloire que nous saisirons mieux comment Dieu peut tirer le bien du mal : « La foi nous donne la certitude que Dieu ne permettrait pas le mal s'il ne faisait pas sortir le bien du mal même, par des voies que nous ne connaîtront pleinement que dans la vie éternelle ».


Le célèbre théologien Hans Urs von Balthasar rappelait combien il est inutile de spéculer sur le jugement final qui nous attend : « Ne portez pas de jugement prématuré. Laissez venir le Seigneur ; c'est lui qui éclairera le secret des ténèbres et rendra manifeste les dessins des cœurs ». La véritable espérance chrétienne se contente « pour l'essentiel, de la prière demandée à l'Église pour le salut de tous voulu par Dieu ».

Le Nouveau Testament parle tout autant de la possibilité menaçante de la perdition éternelle que d'une volonté universelle de salut de la part de Dieu (…) ni la Sainte Écriture, ni la tradition doctrinale de l'Église, ne disent clairement d'un homme en particulier qu'il se trouve effectivement en enfer. Mais l'enfer apparaît constamment comme une possibilité réelle, au même titre que celle de se convertir et de vivre.


« L'enfer est une faille aussi bien pour la pensée que pour l'existence. Si la définition conceptuelle de l'enfer est une chose acquise, si le risque de l'enfer est déclaré fermement appartenir au drame de l'existence humaine, l'existence réelle de l'enfer pour les hommes garde le mystère d'une interrogation. Le conflit entre la miséricorde absolue de Dieu et son respect absolu de la liberté humaine est un conflit que lui seul peut résoudre. Nous ne pouvons qu'espérer pour tous. Et c’est beaucoup mieux ainsi. » (Bernard Sesboüé)


Au bout du compte, la recluse de Norwich invite à la seule attitude chrétienne qui soit valable face aux salut : celle de l'espérance issue de l’amour.


Il est proximité bienveillante et transcendance aimante. Il est mendiant d'amour auprès de sa créature, soupirant discrètement pour un oui. Il se fait désirer. Débordant de joie et de douceur, avec parfois une pointe d'humour, le Dieu de Julienne aborde la question du mal avec gravité et délicatesse.

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