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dimanche 24 mai 2020

L'affaiblissement de l'Etat français

"Le 20 décembre 2019, un fait important n’a pas soulevé une émotion à la hauteur de sa gravité : le Conseil constitutionnel a indiqué sans ambiguïté que le fait pour un ministre de confier à un prestataire privé la rédaction d’une partie d’un projet de loi n’est pas contraire à la Constitution. 

(…) la haute administration française (…) au moment de la sombre affaire Alstom en 2013-2014 demandait avis et conseil non pas aux services d’intelligence économique chargés de ce genre de dossier mais à un grand cabinet américain puis à un allemand.
A-t-on calculé au moins une fois la totalité des montants versés par l’État aux firmes privées de consulting, audit et conseil, pour censément améliorer sa gestion, depuis la première grande manifestation publique de défiance antiÉtat, la “RGPP”, initiée en 2007 ? Cette révision générale des politiques publiques, qui partait d’un objectif légitime de réforme de l’État, s’est transformée, en étant confiée à des auditeurs et conseils en management privés (beaucoup d’origine américaine, ce qui accessoirement n’est pas prudent), en un exercice de rabotage chaque année plus obsessionnel des crédits publics (…)
(…) la sous-traitance au privé de missions régaliennes de l’État a touché de plus en plus de domaines au fil des ans, avec par exemple la délivrance des visas français dans la plupart des pays étrangers par des entreprises locales, la surveillance des véhicules à fin de contravention et bien d’autres cas. Un autre aspect de cet abandon progressif par l’État de ses prérogatives est celui de la multiplication des agences et autorités indépendantes, de plus en plus nombreuses, qu’il s’agisse de la santé, de l’énergie, de l’audiovisuel, des fréquences téléphoniques… tous démembrements dont les résultats sont loin d’être convaincants.
Enfin, le désintérêt de la haute administration, dont est en grande partie issu l’exécutif sous la Ve République, pour les fleurons industriels et les pépites prometteuses de profits et d’emplois futurs a été notoire, avec les pertes successives de Pechiney, Technip, Lafarge, Alcatel, Alstom et bien d’autres plus ou moins connus.
En réalité, ces revues, audits, délégations et abandons ont été menés par défiance idéologique des “élites” envers l’État et ses acteurs, sur la base du présupposé que le management privé est la solution optimale pour toute organisation, que la distinction entre public et privé n’a plus guère de sens, que l’absence de frontières et de contrôles est le summum de la modernité et du “chic” intellectuel (…) les innombrables audits privés menés depuis des années n’ont pas abouti à un allègement de la bureaucratie, bien au contraire, en augmentant les reportings et autres obligations excessivement zélées de preuve de respect de conformité. On subit ainsi aujourd’hui la “double peine” : un État à la fois cher et mal organisé.

(…) les grands cabinets de conseil répartis dans le monde, qui trouvent un intérêt pécuniaire majeur à répandre des pratiques, normes et labels (…) S’y sont ajoutées des actions d’influence de milliardaires idéologues comme, entre autres, George Soros ou Peter Thiel, qui pour des raisons différentes détestent l’État et font tout pour y substituer des pouvoirs privés (les leurs en particulier) (…)

Le service public à l’usager devenait “has been” par rapport à l’offre au client, le terme même de “politique publique” était banni, sans parler du mot “souveraineté”, même économique. Une idéologie solide, sûre d’elle-même, peu tolérante à l’égard des autres, s’est ainsi installée au sein notamment des grands corps et des directions de Bercy (…)

Les deux phénomènes sont liés : moins d’État implique plus de prise en charge par la communauté familiale ou religieuse… et permet en même temps à des agents économiques privés d’installer confortablement leur pouvoir, certains devenant peu à peu des monopoles.

(…) il est temps de mettre fin à cette situation de fait et d’oeuvrer à rétablir un État aux pouvoirs à la fois forts, limités à l’essentiel de ses fonctions régaliennes et défendant en premier lieu les notions simples de sécurité et de liberté, qui fondent sa légitimité (…)

Car la gestion calamiteuse de l’État depuis quarante ans aboutit aujourd’hui à ce paradoxe d’un État diminué et affaibli tout en étant de plus en plus prégnant et menaçant pour nos libertés."

(extrait d'un article de Claude Revel, in Valeurs Actuelles, 30/04/2020)

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