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samedi 15 juin 2019

Catherine de Medicis

"En dédiant son ouvrage Le Prince à Laurent de Médicis, le Florentin Machiavel cherche avant tout à se faire pardonner son engagement dans l'épisode républicain qui, entre 1494 et 1512, chassa les Médicis du pouvoir. Double ironie de l'histoire : Machiavel offre son traité à un prince sans principauté, puisque Laurent de Médicis domine Florence sans être officiellement souverain ; et le même Machiavel espère le soutien d'un homme qui, quelques mois plus tard (1519), meurt sans autre héritier légitime qu'un bébé de quelques semaines, Catherine de Médicis (…)

En 1527, à la suite d'une révolution, les Médicis perdent leur pouvoir à Florence et, à la même année, le pape Clément VII Médicis assiste, impuissant, au sac de Rome par les armées impériales. Pendant trois ans, la jeune Catherine de Médicis reste cloîtrée dans un couvent florentin jusqu'à ce qu'un long siège vienne à bout des révoltés et replace les Médicis à Florence.
En 1530, après ces épisodes tumultueux, Catherine de Médicis est installée à Rome par son cousin, le pape Clément VII : il se charge de parachever son éducation puis de la marier (…) à quatorze ans à Henri de Valois, fils cadet du roi de France François Ier (…) elle représente, pour François Ier, l'espoir d'alliances nouvelles pour installer une domination française en Italie et contrer son rival, l'empereur Charles Quint (…)

La mort, en 1536, du fils aîné de François Ier place Catherine de Médicis face à un double destin : celui de devenir reine, contre toute attente, alors que certains lui reprochent déjà d'être la descendante de banquiers parvenus, et non d'une famille authentiquement princière ; celui de devenir mère ensuite.

L'arrivée sur le trône d'Henri II, en 1547, permet certes à la nouvelle reine de déployer sa propre cour, mais l'influence de Catherine de Médicis, malgré son rang, pâtit de la place que prend Diane de Poitiers (…) favorite du roi…

En 1559, le traité signé au Cateau-Cambrésis met fin aux guerres d'Italie et instaure durablement la prépondérance espagnole en Europe (…)

Lors d'un tournoi de gala qui célèbre la paix retrouvée, Henri II est mortellement blessé par un accident plus qu'inhabituel. Dans ces tournois, les longues lances en bois, destinés à désarçonner l'adversaire, se brisent contre le bouclier adverse - or un éclat de lance parvient à pénétrer par la fente étroite de son casque et lui transperce l'œil (…)

A compter de 1559 et jusqu'à la moet de Catherine de Médicis au tout début de l'année 1589, ses trois fils se succèdent sur le trône : François II, très brièvement (1559-1560), Charles IX ensuite (1560-1574), Henri III enfin (1574-1589).

(…) à partir de 1562 se succèdent guerres civiles ouvertes, conflits larvés et paix boiteuses, dans lesquels préoccupations religieuses et politiques s'entrecroisent.

(…) la noblesse se mobilise, indirectement, contre un pouvoir royal qui s'est éloigné d'elle.

L'armée royale permanente n'existe pas, l'administration est très peu nombreuse, pas toujours dévouée, et les impôts insuffisants ne permettent guère des campagnes militaires durables : le pouvoir royal ne peut rien sans la fidélité des villes ou de la noblesse locale (…)

Dans cet univers incertain, mouvant, Catherine de Médicis s'efforce de préserver l'autorité royale et de maintenir sur la tête de ses enfants la couronne, quand les plus fanatiques envisagent  ce qui aurait été impensables quelques décennies plus tôt - d'assassiner le roi. On ne peut saisir le rôle de Catherine de Médicis, ni son innovation politique, sans comprendre le délitement des instruments du pouvoir royal : puisque le droit divin s'émousse, puisque les relais du pouvoir royal se détournent, puisque l'armée royale  a perdu de son lustre, il faut retisser le manteau de la souveraineté, avec de nouveaux outils.
Ces outils sont ceux d'abord du savoir, d'un savoir dévorant - de la philosophie aux sciences occultes afin de comprendre les signes et les cœurs. Ce goût du savoir conduit Catherine de Médicis à exiger que les courriers lui soient toujours portés et lus en premier, fussent-ils adressés au roi (…)

Catherine de Médicis tente à plusieurs reprises une forme juridique de tolérance civile : une autorisation limitée, discrète, du culte réformé, doublée d'une liberté de conscience (…)

Pour recréer cette harmonie, la reine utilise également les instruments symboliques du pouvoir royal : les fêtes ou les entrées royales portent un programme savamment mis en scène, destiné à convaincre, mais surtout à adoucir les mœurs, par les évocations presque magiques dont elles sont empreintes. Même la personne physique du roi est mobilisée : le long Tour de France (1564-1566) réalisé avec Charles IX et toute la Cour, à travers le royaume, doit lui permettre de retisser directement les liens de fidélité et d'amour entre ses sujets, d'apaiser durablement les esprits en effaçant les séquelles de la première guerre de religion (1562-1563) - dont on pouvait penser qu'elle serait la seule, alors que sept autres guerres civiles devaient finalement suivre, jusqu'en 1598.

Cette énergique politique de pacification (…) échoue surtout quand des instruments de concorde imaginé par la reine (le mariage, en 1572, de sa fille, Marguerite de Valois, avec le roi Henri de Navarre, chef du parti réformé et futur Henri IV) conduit d'abord à l'assassinat du chef militaire du parti protestant (l'amiral de Coligny) puis au massacre de milliers de protestants, la nuit de la Saint-Barthelemy (24 août 1572). Catherine de Médicis, en endossant la responsabilité des meurtres tout en essayant d'éviter que le massacre n'augmente, a contribué à nourrir sa légende noire - celle d'un souverain capable d'assassiner ses propres sujets, capable de prévoir, au nom de la justice royale, l'exécution sans procès de sa propre noblesse.

(…) la radicalité catholique, groupée sous l'étendard de la Ligue, remet ouvertement en cause le pouvoir royal. Ironie de l'histoire : la reine meurt à Blois, quelques jours après que son fils Henri III a tenté, en assassinant les Guise, de décapiter la Ligue : ironie du sort, le même Henri III meurt poignardé, quelques mois plus tard - ouvrant la voie, encore difficile, à l'arrivée sur le trône des Bourbons, bien que le futur Henri IV soit toujours protestant en 1589."

(Renaud Villard, Glénat/Fayard)

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