"Beaucoup de gens et
d'observateurs redoutent que l'Algérie ne sombre dans le chaos, après la chute
de Bouteflika. Depuis quand la disparition des fantômes plonge-t-elle les pays
dans le chaos ?
D'autres redoutent que l'Algérie ne tombe aux mains des islamistes.
Ce
scénario me semble peu plausible. Pourquoi ?
Autant les islamistes ont incarné
dans les années 1980 une alternative au pouvoir totalitaire et corrompu du FLN,
par un discours social, égalitaire et éthique ; autant ils ont perdu tout
crédit depuis lors.
D'abord, avec la décennie
noire qui a mis à feu et à sang le pays, et surtout depuis l'arrivée de
Bouteflika au pouvoir, qui les a largement associés à la corruption et
réhabilité en grande pompe les plus grands assassins d'entre eux. Les
islamistes font désormais partie intégrante du régime, ils mangent dans sa
main, et font partie de sa cour ; ils ont leurs députés et leurs ministres.
Mieux, Bouteflika leur a livré toute la société algérienne en pâture. Ils sont
aujourd'hui aussi discrédités aux yeux de la population que le FLN, car aux
dernières élections législatives et municipales, ils n'ont obtenu que de
maigres scores. Enfin, en Algérie, la coupe de la religion est pleine, et on ne
peut y rajouter la moindre goutte, tellement la société a été islamisée.
Je rentre d'Iran et je peux
dire que la religion occupe 10 fois moins de place dans la vie quotidienne des
Iraniens, sous le régime des Ayatollahs, que dans l'Algérie du FLN, où le régime
a transformé depuis des années l'école publique en école coranique.
L'autre
chiffon rouge agité aussi bien par les dirigeants algériens que par beaucoup de
politiques français, c'est l'épouvantail de la guerre civile, et certains
citent le cas du Venezuela, de la Syrie et des chaos engendrés par le printemps
arabe. Comparaison n'est pas raison.
L'Algérie n'a rien à voir
avec la Syrie, c'est un pays à 100 % sunnite, les services algériens, malgré
leur fourberie et leur férocité, n'ont jamais pratiqué la torture à grande
échelle comme l'a fait le régime de Bachar. Il convient aussi de rappeler que
la Syrie a été détruite en partie par l'Arabie saoudite et le Qatar, qui ont
largement armé et financé les milices de Daech pour abattre le régime de Damas,
coupable d'être proche de Téhéran. L'Algérie ne risque pas demain d'être
attaquée par le Niger, le Mali, la Mauritanie ou la Tunisie.
Il faut quand même rappeler
que l'Algérie dispose de l'une des armées les plus fortes au monde, c'est
la deuxième armée d'Afrique, qui absorbe tout de même un quart du budget
national, c'est-à-dire 13 milliards de dollars, presque autant que le budget
militaire de l'État d'Israël. Je ne crois pas que la dictature soit une
fatalité pour les pays arabes. En témoigne l'exemple tunisien, pays sans
ressources, qui est passé d'une dictature sanglante à une démocratie réelle,
malgré la crise économique, la faillite du secteur du tourisme et l'hégémonie
des islamistes.
Je pense que pour sortir de
la crise on pourrait s'inspirer de l'exemple tunisien. On pourrait rêver à
haute voix, et pour rêver il faudrait commencer par ranger le FLN au Musée
national pour services rendus à la patrie entre 1954 et 1962, et lui faire
signer son check out de l'histoire d'Algérie. Dissoudre l'Assemblée
actuelle composée largement de béni-oui-oui qui touchent l'équivalent de 3000 €
pour dire oui à tout. Former un gouvernement de transition composé de
personnalités de la société civile. Mettre en place une commission « éthique et
transparence » qui enquêtera sur la corruption et les abus de biens publics et
sociaux, et juger les coupables.
Organiser des élections pour
une constituante qui respectera la parité absolue, femmes/hommes, et qui
proclamera la Seconde République. Elle adoptera une Constitution qui tiendra
enfin compte de la diversité culturelle de l'Algérie et de ses influences
méditerranéennes, lui restituant tout son passé, berbère, punique, chrétien,
tout en reconnaissant son identité berbère millénaire et ses cultures,
tamazight, mozabite, chaouie, targuie, en même temps qu'elle donnera une place
à l'enseignement de la darija, l'arabe dialectal. Ses rédacteurs pourront
aussi, je l'espère, revenir au projet de Constitution de 1976 qui déclarait
l'islam religion du peuple. Car aujourd'hui l'Algérien n'a pas besoin de l'aide
et du soutien de l'État pour faire ses ablutions et ses prières."
(in La Vie, 14/03/2019)
Mohamed Kacimi est écrivain et
dramaturge algérien. Dernier ouvrage paru : Jours tranquilles à Jérusalem (Riveneuve).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire