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lundi 25 mars 2019

Algérie : "Il faut rêver" (Mohamed Kacimi)


"Beaucoup de gens et d'observateurs redoutent que l'Algérie ne sombre dans le chaos, après la chute de Bouteflika. Depuis quand la disparition des fantômes plonge-t-elle les pays dans le chaos ? 
D'autres redoutent que l'Algérie ne tombe aux mains des islamistes. 
Ce scénario me semble peu plausible. Pourquoi ? 
Autant les islamistes ont incarné dans les années 1980 une alternative au pouvoir totalitaire et corrompu du FLN, par un discours social, égalitaire et éthique ; autant ils ont perdu tout crédit depuis lors. 
D'abord, avec la décennie noire qui a mis à feu et à sang le pays, et surtout depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, qui les a largement associés à la corruption et réhabilité en grande pompe les plus grands assassins d'entre eux. Les islamistes font désormais partie intégrante du régime, ils mangent dans sa main, et font partie de sa cour ; ils ont leurs députés et leurs ministres. Mieux, Bouteflika leur a livré toute la société algérienne en pâture. Ils sont aujourd'hui aussi discrédités aux yeux de la population que le FLN, car aux dernières élections législatives et municipales, ils n'ont obtenu que de maigres scores. Enfin, en Algérie, la coupe de la religion est pleine, et on ne peut y rajouter la moindre goutte, tellement la société a été islamisée.
Je rentre d'Iran et je peux dire que la religion occupe 10 fois moins de place dans la vie quotidienne des Iraniens, sous le régime des Ayatollahs, que dans l'Algérie du FLN, où le régime a transformé depuis des années l'école publique en école coranique. 

L'autre chiffon rouge agité aussi bien par les dirigeants algériens que par beaucoup de politiques français, c'est l'épouvantail de la guerre civile, et certains citent le cas du Venezuela, de la Syrie et des chaos engendrés par le printemps arabe. Comparaison n'est pas raison. 
L'Algérie n'a rien à voir avec la Syrie, c'est un pays à 100 % sunnite, les services algériens, malgré leur fourberie et leur férocité, n'ont jamais pratiqué la torture à grande échelle comme l'a fait le régime de Bachar. Il convient aussi de rappeler que la Syrie a été détruite en partie par l'Arabie saoudite et le Qatar, qui ont largement armé et financé les milices de Daech pour abattre le régime de Damas, coupable d'être proche de Téhéran. L'Algérie ne risque pas demain d'être attaquée par le Niger, le Mali, la Mauritanie ou la Tunisie.

Il faut quand même rappeler que l'Algérie dispose de l'une des armées les plus fortes au monde, c'est la deuxième armée d'Afrique, qui absorbe tout de même un quart du budget national, c'est-à-dire 13 milliards de dollars, presque autant que le budget militaire de l'État d'Israël. Je ne crois pas que la dictature soit une fatalité pour les pays arabes. En témoigne l'exemple tunisien, pays sans ressources, qui est passé d'une dictature sanglante à une démocratie réelle, malgré la crise économique, la faillite du secteur du tourisme et l'hégémonie des islamistes.

Je pense que pour sortir de la crise on pourrait s'inspirer de l'exemple tunisien. On pourrait rêver à haute voix, et pour rêver il faudrait commencer par ranger le FLN au Musée national pour services rendus à la patrie entre 1954 et 1962, et lui faire signer son check out de l'histoire d'Algérie. Dissoudre l'Assemblée actuelle composée largement de béni-oui-oui qui touchent l'équivalent de 3000 € pour dire oui à tout. Former un gouvernement de transition composé de personnalités de la société civile. Mettre en place une commission « éthique et transparence » qui enquêtera sur la corruption et les abus de biens publics et sociaux, et juger les coupables. 
Organiser des élections pour une constituante qui respectera la parité absolue, femmes/hommes, et qui proclamera la Seconde République. Elle adoptera une Constitution qui tiendra enfin compte de la diversité culturelle de l'Algérie et de ses influences méditerranéennes, lui restituant tout son passé, berbère, punique, chrétien, tout en reconnaissant son identité berbère millénaire et ses cultures, tamazight, mozabite, chaouie, targuie, en même temps qu'elle donnera une place à l'enseignement de la darija, l'arabe dialectal. Ses rédacteurs pourront aussi, je l'espère, revenir au projet de Constitution de 1976 qui déclarait l'islam religion du peuple. Car aujourd'hui l'Algérien n'a pas besoin de l'aide et du soutien de l'État pour faire ses ablutions et ses prières."

(in La Vie, 14/03/2019)

Mohamed Kacimi est écrivain et dramaturge algérien. Dernier ouvrage paru : Jours tranquilles à Jérusalem (Riveneuve).

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