Nombre total de pages vues

vendredi 26 mai 2017

"Tout à coup : l'éternité" de Martin Steffens

« Si tu savais le don de Dieu... »  Ainsi parle Jésus à la Samaritaine. Ce don, elle l'a sous les yeux : celui qui lui pose la question, bientôt, mourra pour qu'elle ne meure plus. Si elle savait ! Nous, chrétiens, on ne le sait que trop bien : Dieu a tellement aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique. La leçon est apprise. Est-elle comprise ? Sans doute, car l'histoire du salut n'est pas sans logique. Elle commence au coeur de Dieu, où bat depuis toujours la pulsation d'amour. Elle se poursuit par la création du monde : création bonne et belle, qui ne demande rien en retour, qui n'a d'autre raison, pour Dieu, que de nous partager sa joie trinitaire. Mais cela supposait de créer un être libre - libre même de refuser la relation. On propose son amour, on ne l'impose pas. Le risque pris par Dieu devint un écart que l'homme creusa. Dieu appelle, l'homme fait la sourde oreille. Son coeur s'endurcit. Sur lui, vient se briser le cri des pauvres...
On aurait pu en rester là. Mais le don à l'homme de sa liberté n'a pas été l'abandon de l'homme à sa liberté : de sa propre initiative, Dieu vient habiter notre refus. Il se loge dans notre enfer pour nous en déloger. Voici enfin la Croix, plantée au coeur du Mal. Voici ces bras écartelés du Christ, qui sont surtout des bras parfaitement ouverts. Voici le plus grand Mal enveloppé par le plus grand amour. « Tout est accompli » : par la Croix nous fut offert le don inestimable de la vie éternelle.
Tout cela, on le sait. Les chrétiens le confessent. Mais en réalité, on n'y croit pas. Parce que, à la lettre, c'est incroyable : trop beau pour être vrai. Imaginez un peu : y croire impliquerait qu'il n'y a rien de plus à faire, désormais, qu'accueillir le don de Dieu. Il n'y aurait plus qu'à laisser passer, dans sa vie, cet amour divin déclaré deux fois : par la création du monde, puis par son salut. Il suffirait d'être un vivant merci. Imaginez : vaincue la mort, finie la peur. Les boules au ventre éclatant comme des bulles de savon ! Mais on tient à son angoisse. On tient à ses tristesses. On tient à ses rancunes. On tient à ce qui nous tient captifs.
Alors aujourd'hui, juste aujourd'hui, essayons d'y croire. Juste pour voir. Faisons comme les enfants quand ils jouent : « On disait que tu étais déjà sauvé, que tu étais juste là pour dire aux hommes qu'ils le sont aussi. » En ces jours de joie pascale, jouons le jeu des enfants de Dieu : soyons éternels, juste deux ou trois heures - et plus, si possible. N'ayons, au coeur, plus qu'une urgence : tisser le lien qui se propose. Car tout passera, s'effacera, tandis que l'Amour, donné et reçu, pose en cet instant précis, dans la Cité céleste, d'inébranlables pierres. Osons donc être, ici même, les résidents de la patrie heureuse. Le salut est déjà offert à tous : il revient seulement, aux serviteurs joyeux et inutiles que nous sommes, de le recevoir en l'annonçant. « Éternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre », disait Pascal.
Ah, si l'on savait le don de Dieu ! Ce serait déjà l'éternité. On rirait ensemble des échecs de la veille, des impôts en retard, et d'avoir raté, ce soir, le gigot d'agneau aux olives. Le sourcil serait moins froncé, le front plus large, le regard plus ouvert. Tout arriverait par surcroît : ce jour ne serait plus une chose à investir, à réussir, à affronter, mais un présent à accueillir. Dieu, finalement, ne nous demande que cela : reconnaître le don qu'il nous a fait et en répandre la saveur.
(La Vie, 13 avril 2017)
Martin Steffens enseigne la philosophie en classe prépa. Il a publié chez Le Passeur avec Christophe André Qui nous fera voir le bonheur ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire