(…) « Je veux que vous ayez peur » , assénait la jeune militante suédoise Greta Thunberg à la tribune de Davos. Or, la peur, nous disait-on, était une passion triste, l’apanage des “trouillards sociaux”, ceux qui, par exemple, redoutent l’immigration, le passage à l’euro, le mariage gay. L’homme moderne, à l’aise dans son temps et tourné vers l’avenir, n’a pas à avoir peur. Et puis, tout à coup, la peur est revenue en grâce. Elle est devenue bonne conseillère (et de même la colère, autre passion triste, parfois requise elle aussi). Le philosophe Hans Jonas était passé par là et sa fameuse « heuristique de la peur » (« ça fait tout de suite beaucoup plus chic », souriait Chantal Delsol) peuvent prendre place dans les dîners mondains. « La peur de ceux qui, pourtant, n’ont pas à avoir peur », observait l’ancien président tchèque Václav Klaus. Une fausse peur, une peur pour jouer à se faire peur, pour montrer que l’on a une belle et vaste conscience, quand les “gilets jaunes”, ces ploucs aux regards étriqués, ont plutôt peur pour leur fin de mois !
Le souci écologique est très présent chez les élites occidentales, non parce qu’elles sont compétentes en climatologie (malgré leurs diplômes, leur niveau culturel est hélas assez faible, surtout en sciences), mais parce que cela permet de se distinguer assez confortablement du commun. « Avez-vous remarqué à quel point ce qui est moral aujourd’hui correspond aux modes de vie de nos élites ? », questionne l’historien Philippe Fabry. Manger bio, se déplacer à vélo, ou au pire en Tesla, isoler les combles de sa maison de campagne, « tout ceci procède de la recherche de distinction sociale, poursuit l’essayiste. C’est ce qu’on appelle la croyance de luxe, qui nous distingue du bas peuple et dont les conséquences éventuelles nous sont épargnées – comme pour l’immigration. » De manière plus générale, ces croyances nous donnent un surplomb moral par rapport au reste du monde, et c’est précisément – qu’on songe aux politiques de l’Union européenne – la seule chose à laquelle nous raccrocher. Nous déclinons, certes, mais nous sommes purs.
Naturellement, on chercherait en vain quelque chose qui ressemblerait à de la science dans ces grands processus d’adhésion collective. « Fondamentalement, l’écologie relève de la mystique , poursuit Bertrand Alliot, organisateur du colloque, ingénieur-maître en gestion de l’environnement et auteur d’ Une histoire naturelle de l’homme (L’Artilleur, 2020). C’est une mystique du salut. Certaines personnes sont convaincues que nous vivons une crise existentielle et qu’il faut donc s’employer à trouver des issues à cette crise. » Ce sentiment n’est pas étonnant en soi ; il est la conséquence de l’effondrement des grands récits qui ont soutenu et animé nos sociétés. Quand, au XIXe siècle, le christianisme s’enfonce dans ce qu’on peut appeler une crise de plausibilité, le socialisme, qui en est un mauvais décalque, vient alors prendre le relais. Il s’effondre à son tour, bruyamment, et le monde, en tout cas le monde occidental, se trouve soudainement orphelin de ses utopies. Il lui faut une grande cause, un grand objet auquel se vouer. Les Grecs vénéraient l’Être, le Moyen Âge adorait Dieu, la Renaissance s’enticha de la Nature, puis ce fut l’Homme à l’époque moderne ; c’est aujourd’hui la Planète ; qu’on songe un instant à l’Onu lançant son “Arche de l’espoir” ou rédigeant une “Charte de la Terre”.
Bien sûr, le souci de la planète ne vient pas de nulle part et ses manifestations ont beau être parfois grotesques, elles ne sont pas intrinsèquement absurdes. La question des dégâts causés par l’activité humaine sur l’environnement est une question importante. Le problème est qu’elle devrait demeurer essentiellement technique, froide et austère, et non prendre feu, devenir une cause. La problématique de la gestion des eaux usées peine à combler une âme exaltée, c’est entendu ; l’ennui est que si on laisse ces belles âmes, qui exigent toujours de voir les choses en plus grand, en plus grave, s’emparer de ces questions, elles auront tôt fait de transformer un problème en catastrophe. Le sujet lui-même devient secondaire. Peu importe le parfum, pourvu qu’on ait l’ivresse. « La crise perdure mais elle change de forme, poursuit Bertrand Alliot.
Le pétrole, les ressources, les pluies acides, la couche d’ozone… La crise du climat patine un peu ces temps-ci, car le récit apocalyptique est dur à tenir dans la longueur, mais sa sœur jumelle, la crise de la biodiversité, avec la fameuse “sixième extinction”, vient utilement la soutenir. »
Cet aspect mystique explique aussi pourquoi la simple discussion du diagnostic de crise est interdite. Le diagnostic est sacralisé parce qu’il autorise quelque chose, il protège l’idéologie salvatrice. Et quel meilleur verrou, quel coffre-fort plus sûr que La Science (avec des majuscules) ? Ainsi la chose n’est plus discutable et Radio France peut tranquillement déclarer que, désormais, les personnalités qui doutent encore de la science climatique (laquelle leur a toujours été très familière, comme chacun sait) ne seront plus invitées sur les antennes de la station. « Désormais la science protège le mythe, sourit Bertrand Alliot. C’est la grande inversion de notre temps. »
Car nous en sommes là ; des salauds, des pauvres types, des complotistes, des terre-platistes, des négationnistes – tout est permis. Pas de planète pour les ennemis de la planète ! D’où viennent cet aveuglement et cette rage ? (…) Par ailleurs, au-delà de cette angoisse existentielle, l’intransigeance de ces militants vient du fait que, concrètement, il est difficile de mener l’existence décroissante que requiert la nouvelle doxa du salut de la Terre ; « cela demande beaucoup d’efforts, une discipline énorme, qui s’applique à tous les moments de l’existence. C’est un sacerdoce », souligne encore Bertrand Alliot. Seuls les “purs” y parviennent ; or, si leur combat reste isolé, il sera vain : d’où leur extrémisme, leur radicalité.
« Il y a aussi une espèce de fuite en avant, notamment dans le discours, parce que le réel se dérobe aux prévisions catastrophiques », appuie Benoît Rittaud, mathématicien et président de l’Association des climato-réalistes. Quand l’Onu annonce que « l’effondrement climatique a déjà commencé » alors que les gens ne voient rien venir de spécial – seulement des inondations et des sécheresses comme il en a toujours existé, à part que celles d’aujourd’hui sont grossièrement médiatisées -, on se doute bien que quelque chose va finir par se rompre, qu’un voile va se déchirer. (…) Où est la science, là-dedans ? Le réchauffement climatique n’est plus un objet scientifique ; il est devenu « le grand agrégateur de tout et n’importe quoi » (…) »
(extraits d’un article de Mickaël Fonton, dans Valeurs Actuelles, 5/01/2025)
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