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samedi 26 juin 2021

Propos du philosophe Martin Steffens

"(…) Le patriarcat, c’est la possession, par un membre de la famille, le patriarche, des autres membres, les femmes et les enfants. La personne humaine n’a pas le droit d’exister en dehors du clan. Chacun existe non seulement par sa famille mais pour elle. Nous avons quitté depuis longtemps, quoique ce fût peu à peu, cette manière de vivre. Comme l’a vu Nietzsche, pour le déplorer, nous devons cela à l’esprit du christianisme : il est interdit à Abraham de sacrifier Isaac ; saint Joseph se met au service de Marie ; Jésus déclare ouvertement être venu briser les liens familiaux… Nous croyons que, si nous sommes constitués par les nôtres, nous sommes toutefois faits pour notre vocation propre, que celle-ci exige que nous quittions père et mère. Nous croyons ainsi que l’enracinement est certes la condition de notre humanité, mais non pas son but. Bref, nous sommes sortis du patriarcat, pour découvrir, en tâtonnant, la véritable paternité, qui est un équilibre, par essence instable, entre un engagement fort de l’homme envers sa femme et ses enfants et un refus constant de s’en croire le propriétaire.

En sortant du christianisme, naturellement, le patriarcat revient. Si les femmes dominent, elles en auront la charge. Et l’on ne sera guère plus avancé. Comme je l’écris : le matriarcat n’est jamais qu’un patriarcat dont la première lettre a changé (…)


La virilité est moins affaire de muscles que de fidélité, à une femme ou à une vocation. Elle suppose un certain courage, un certain humour aussi, qui embrasse les épreuves sans en vouloir à la vie d’être parfois si dure.


(…) comme l’a montré Éric Marty, dans le Sexe des modernes, la théorie du genre repose en bonne partie sur la toute-puissance de la parole face au réel. Je suis ce que je dis être : une femme si j’affirme être une femme. Or on ne discute ensemble que du réel, à partir de lui (…)


Mais justement, et c’est là le drame proprement humain, nous sommes corps avant d’être parole. Notre corps nous a prononcés avant nous : nous avons un utérus, ou non, avant de le décider (…) La vraie liberté n’est pas celle d’une toute-puissance illusoire de la parole sur le corps, mais d’une attention émerveillée à ce qu’il nous a été donné d’être.


Rien de ce dont l’homme est la mesure n’est intéressant. Le ciel étoilé, Dieu, le cœur humain sont démesure. Donc intéressants."


(Extraits d'un entretien avec Anne-Laure Debaecker, in Valeurs Actuelles, 10/06/2021)

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