- Nous payons, écrivez-vous, le prix de la liquidation du monde ancien et des dérégulations massives qui ont suivi mais, paradoxalement, le monde ancien n’est-il pas en train de resurgir de façon inopinée ?
- C’est très précisément la bonne nouvelle que porte la pandémie. Ce que les Français ont applaudi, chaque soir à 20 heures, à travers le personnel hospitalier et tous les premiers de corvée qui ont tenu la France à bout de bras, ce sont les valeurs du monde d’avant, celles que la mondialisation et la globalisation avaient décrétées obsolètes autant qu’indésirables : la gratuité, l’entraide, la solidarité, le don de soi, le dévouement au bien commun. Ce qu’ils ont plébiscité, ce sont les valeurs du monde de la dette et du devoir contre celles du monde du dû et du droit. Le monde des débiteurs contre le monde des créanciers. Bref, l’antithèse absolue de ce nouveau monde dont Emmanuel Macron s’était fait, lors de sa campagne de 2017, le chantre enthousiaste et l’habile fondé de pouvoir.
- La crise sanitaire a-t-elle mis en échec l’idéologie du progrès ?
- La foire d’empoigne des médicastres et autres morticoles sur les plateaux de télévision, où les sachants ont voulu jouer aux sachems en dépossédant le politique de sa substance et le peuple de sa souveraineté, n’a pas fait que délégitimer la “parole experte”. Elle a mis à nu le dispositif de savoir-pouvoir si bien décrit par Michel Foucault. « L’idolâtrie des moyens, écrivait Bernanos, va toujours de pair avec l’oubli des fins. » Dans le sillage de l’abominable XIXe siècle, le couple abrasif que formaient la science et la technique a voulu s’ériger en finalité. “Plus de science, moins de croyances”, c’était l’antienne des nouvelles idoles. Le Covid nous confronte à un événement régressif que les modernes, embarqués dans leur délire prométhéen, n’avaient pas osé imaginer même dans leurs pires cauchemars. Le grand récit de l’homme émancipé par la science et augmenté par le transhumanisme bute sur une bestiole qui nous ramène cruellement à notre condition de mortels (…)
À la mort de Jean XXIII, de Gaulle a eu ce mot terrible, rapporté par Peyrefitte : « On a toujours tort de donner l’apparence de se renier, d’avoir honte de soi-même. Comment voulez-vous que les autres croient en vous si vous n’y croyez pas vous-même ? » (…)
L’ homo economicus, qui nous est présenté depuis les années soixante comme le modèle achevé de l’aventure humaine, postulait l’éradication de tout ce qui plafonnait les possibilités de bonheur terrestre. D’où la grande offensive culturelle contre la culpabilité d’essence chrétienne qui agissait comme un frein à la jouissance et à la consommation. L’antagonisme radical du marché et du sacré a pris forme à ce moment-là. La télévision s’est chargée de la grande entreprise de rééducation populaire et de lessivage des consciences en dissipant ce que le poète Henri Michaux appelait le « stellaire intérieur ». Jamais une autorité émergente n’aura disposé d’un tel pouvoir pour conditionner les esprits. Jamais soumission à un magistère ne fut aussi totale et instantanée (…)
- Le recul du sacré est-il au cœur de notre relation à l’islam ?
- Évidemment. Comment demander aux musulmans de s’assimiler à une société qui n’est plus approvisionnée en religieux et en sacralité ? Dans les années soixante, l’assimilation était encore possible dans la mesure où subsistait, d’une part, une identité forte et attractive du patriotisme français comme religion séculière et, d’autre part, une proximité morale et symbolique entre l’islam et les valeurs chrétiennes. Ces creusets-là n’existent plus (…)
- À qui la faute ?
- Un certain fondamentalisme républicain est incontestablement à l’origine du processus de radicalisation des musulmans de France. Parce que faute de ressources et d’appareil symbolique pour faire religion à la place de la religion, il s’enferme dans le déni du besoin anthropologique de religieux, dans le rejet de toute dimension sacrée de la vie humaine, le laïcisme n’est pas la solution mais une partie du problème. Sans compter la dérive libertaire, individualiste et hédoniste de la société française qui nourrit chez les musulmans un double sentiment explosif d’infériorité en termes de puissance et de supériorité en termes de civilisation. Comment, face à une société qu’ils jugent décadente et apostate, les musulmans ne se sentiraient-ils pas agressés dans leur être de croyant et leur identité profonde ? L’islam n’est au fond que le miroir qui nous renvoie l’image de tout ce que nous avons perdu, et notamment l’idée même du sacré qui nous est devenue complètement étrangère.
- Vous les comprenez ?
- Nous sommes le seul pays d’Europe où les signes religieux extérieurs sont pratiquement bannis de l’espace public alors que la pornographie de la marchandise et l’obscénité publicitaire s’étalent à tous les coins de rue et sur tous les écrans. J’ai plus de respect pour un musulman qui fait sa prière cinq fois par jour que pour un bobo écolo à trottinette. Plus de respect pour la pudeur d’une femme voilée que pour les lolitas de 13 ans en string. En tant que catholique, je ne me scandalise pas qu’un croyant puisse mettre la loi naturelle au-dessus des lois de la République.
- Non. Le problème n’est pas tant l’islam que l’immigration. Faute d’assimilation possible, il faut prévenir les risques de conflit par une politique volontariste qui s’attache à réduire, par tous les moyens et de façon drastique, le poids démographique de l’islam en France, tout en laissant les musulmans parfaitement libres de pratiquer leur religion sur le territoire national.
(Entretien avec Charlotte d’Ornellas et Geoffroy Lejeune in Valeurs Actuelles, 6/05/2021)
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