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mardi 7 avril 2020

Ces pandémies qui ont tué des empires

La Mésopotamie est, entre l’an 4000 avant l’ère chrétienne et l’an 3000, l’un des premiers foyers de la vie urbaine. Des dizaines de cités de plusieurs milliers d’habitants apparaissent alors dans cette région. Ainsi Uruk, l’Erekh biblique : en –3200, c’était la plus grande ville du monde, avec 50 000 habitants à son apogée.

Les rois d’Uruk dominaient les régions agricoles avoisinantes et des cités secondaires.

Uruk et les autres cités mésopotamiennes sont souvent frappées par des crises graves. La vie urbaine s’effondre, la population diminue brutalement, les empires se disloquent.

Remplacement progressif des peuples fondateurs, Sumériens et Élamites, par des Sémites (Akkadiens puis Araméens) et des Indo-Iraniens ou apparentés (Hittites, Mittaniens, Mèdes, Perses), qui leur empruntent leur technologie, leur religion et leur écriture.

Au début de l’ère chrétienne, d’autres pandémies vont abattre une civilisation plus puissante encore : Rome. En 450 ans, de l’an 150 à l’an 600, la population du monde romain chute de 55 à 35 millions d’habitants: de près de 40 %. Anthropologiquement, la chute a été plus abrupte encore, dans la mesure où les populations romaines ou romanisées d’origine ont été en partie remplacées, au fur et à mesure qu’elles disparaissaient, par des immigrants barbares : Germains, Slaves, Arabes, Berbères.

Une “peste antonine” venue de la région mésopotamienne — peut-être la variole — se répand dans un Empire romain parvenu à son apogée vers 165 et subsiste à l’état endémique pendant une quinzaine d’années. 

Entre 251 et 266, deuxième “peste”, dite “d’Aurélien”: à Rome, on fait état de 5 000 décès par jour ! Le dépeuplement soudain de la capitale — de plus d’un demi-million d’âmes à 200 000 ou 300 000 — provoque, au début du IVe siècle, le transfert du gouvernement dans l’ancienne Byzance grecque, rebaptisée Constantinople. 

La troisième “peste” romaine (542-543), sous Justinien, est la plus meurtrière : elle fait pendant trois mois de 5000 à 10000 morts par jour dans l’empire d’Orient, atteint la Gaule en 580 et y reste endémique jusqu’au milieu du VIIIe siècle ! Les symptômes décrits par le philosophe Procope correspondent à ceux de la peste bubonique.

Il faut mille ans à l’Europe pour retrouver dans un nouveau cadre culturel — la chrétienté — le niveau du Haut Empire romain. C’est alors que la peste bubonique revient, contrecoup d’un Empire mongol qui a unifié la plus grande partie de l’Eurasie, de la Chine à la Pologne. Sous le nom de Peste noire, la pandémie naît en Chine vers 1330, atteint Constantinople puis la Sicile en 1347 et ravage l’Europe jusqu’en 1351. Au total, elle tue près du cinquième de la population mondiale et 25 % de la population européenne, avec des pointes à 70 % dans certaines régions. 

En 1492, quelques milliers d’Espagnols atteignent l’“hémisphère occidental”. Les voici en contact avec le Mexique en 1518, puis avec le Pérou en 1532. Ces pays sont beaucoup plus peuplés que la péninsule Ibérique: 30 millions d’habitants dans l’espace mexicain et une vingtaine de millions dans l’espace andin, contre 6,5 millions en Espagne et 1,3 million au Portugal. 
En 1521, quand les Espagnols tentent de reprendre Tenochtitlán, ils apportent la variole. Maladie sérieuse pour les Européens, elle est mortelle pour les Méso-Américains. Le Mexique n’est pas vaincu: il se désintègre littéralement.

Même scénario au Pérou, onze ans plus tard, à ceci près que la variole a précédé l’arrivée de Francisco Pizarro et de son minuscule bataillon : moins de 200 hommes. Venue du sud du Mexique vers 1525, la maladie ravage et désorganise en effet l’Empire inca, provoquant notamment une guerre civile : quand l’empereur Atahualpa rencontre Pizarro à Cajamarca, dans le nord du Pérou actuel, il vient de remporter des victoires décisives contre son demi-frère Huáscar ; mais son armée, qui compte 80 000 hommes, a été en partie contaminée et ne sera plus en mesure de se battre efficacement. Les plus valides préfèrent battre en retraite : retranchés dans les hauts plateaux, ils poursuivront la résistance pendant un demi-siècle.

Après la variole, toutes les maladies européennes déferlent sur le monde amérindien : grippe, rougeole, typhus, peste… Elles déciment des populations qui ont déjà fondu de moitié et perdu tous leurs cadres politiques ou culturels. Le pire est atteint au début du XVIIe siècle, quand la population du Mexique tombe à moins de 3 millions d’habitants et celle du Pérou à moins de 2 millions.

(extraits d'un article de Michel Gurfinkiel, mars 2020)

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