La révolution numérique donne à tout le monde voix au
chapitre. Vous n’avez rien à dire ? Hurlez-le ! Voilà ce que propose
le dispositif numérique : un porte-voix qui prend davantage en compte le
volume sonore que la valeur du propos. Il y a là une fable à caractère hydraulique :
il faut s’imaginer les grands génies de la Silicon Valley qui ont installé
autour du Globe terrestre des millions de kilomètres de tuyauterie et de câbles.
Ce qui passera dedans ? Peu importe ! disent-ils. Des excréments ou
de l’or, c’est la même chose ! Tout se vaut frères humains ! Voilà ce
qu’ils proclament avec leurs outils technologiques qui sont l’incarnation de la
pensée égalitariste. Moi, je viens de la civilisation d’avant : celle des
sourciers, les hommes qui cherchaient l’eau avant de creuser les canaux. Autre
chose que nous mesurons mal : cette technologie est une arme de dompteur.
Elle rend service aux maîtres, elle permet la soumission des masses.
Je suis éberlué par les gens qui se passionnent pour l’innovation.
Il n’y a rien de plus ringard que ce qui est innovant. Moi, je suis passionné
par les invariants.
L’horizon de l’humanité type Silicon Valley, c’est l’institutionnalisation
de l’adolescence en modèle de vie. C’est une forme de sénilité. Plus le monde
réel se dégrade, écosystémiquement parlant (50% des vertébrés des zones humides
ont disparu), plus on se réfugie dans le virtuel. « Les nouvelles technologies
vont arranger les choses », disent-il. On se rêve autre chose, car on est
incapables de se contenter du monde. On l’a salopé. Alors on cherche à aller
sur Mars. Le fétichisme cybernétique est un messianisme. Internet, c’est un
fusil dans les mains d’un singe. C’est un prétoire géant, un palais de justice
global. Alors je cherche à prendre la fuite.
(Entretien dans la revue Limite, juillet 2018)
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