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mercredi 13 juin 2018

La langue est la structure de la pensée


"La langue est la structure de la pensée (…) Si l’on veut s’attaquer à un individu, il faut commencer par attaquer sa langue. Plus celle-ci sera pauvre, approximative, vasouillarde, plus aurez barre sur lui. A l’inverse, si vous lui enseignez la précision, la rigueur, vous donnez une sorte de grammaire à son intelligence (…) Aujourd’hui, il y a déconsidération de la grammaire. On veut oublier que l’intelligence a besoin, pour se développer, d’un cadre rigide (…)

On a perdu la notion d’institution au profit de celle de service public. On laisse entendre que l’école, elle aussi, devrait devenir un service public. Là encore, la confusion est grave. Une institution n’est pas un service public. Une institution est une émanation de la démocratie, mais à l’intérieur d’elle-même, l’institution s’excepte de la démocratie, la loi de la majorité n’y fonctionne pas. Regardez la justice par exemple. Que serait une justice dont le but serait de satisfaire une majorité de justiciables ? Ou l’armée (…)

Pourquoi l’école devrait-elle satisfaire la majorité des élèves ? Parce qu’on veut la considérer comme un service public. Et si l’école est un service public, l’élève en est le roi, puisqu’il en est le client, l’usager. (…) Quand on paie pour un service public, on veut en avoir pour son argent.

Mai 68 nous a seriné que savoir = pouvoir. Comme on méprisait le pouvoir, on a fini par mépriser le savoir. On l’a remplacé par l’émotion. Ce n’est plus sur des arguments, ce n’est plus sur une pensée que je peux affirmer mon autonomie, mais sur l’intensité de l’émotion que je ressens.

L’école s’est ingéniée à supprimer les grandes œuvres sous prétexte qu’elles seraient passéistes et abstraites, incompréhensibles, éloignées de l’expérience de l’enfant, de son petit monde à lui. Pour un pédagogiste, fiction et réalité sont deux notions contradictoires. C’est naturellement faux. Dans une grande fiction, il y a toujours une intention de connaître, de comprendre, de saisir tel ou tel aspect de la réalité (…) Avec la fiction, c’est du réel qui prend sens, du réel suffisamment éloigné de l’élève pour qu’il l’élève. Au lieu de quoi, on préfère lui fourguer de ridicules petites brochures qui lui parlent de son argent de poche, de ses sorties nocturnes (…) Ce n’est pas le fictif qui s’oppose au réel, c’est le virtuel. Il s’y oppose même si bien qu’il tend à le remplacer.

Les pédagogistes ont décrété une fois pour toutes que l’enfant ne pouvait apprendre qu’en jouant. S’il doit faire un effort, il n’est plus motivé. Et s’il n’est plus motivé, il est perturbé, il s’ennuie. Pauvre petit. Dans le savoir-être, prévaut l’idée du politiquement correct. Mais moi, je veux que mes enfants apprennent quelque chose. Le savoir-être, je m’en occupe tout seul."

Jean Romain, philosophe, professeur au Collège à Genève, in L’Hebdo, 31 août 2000.

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