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samedi 14 avril 2018

« Un impitoyable nettoyage ethnique » (Patrice Franceschi)

"Fin mars 2018, des centaines de milliers de Kurdes – hommes, femmes, enfants, vieillards – ont dû fuir la région d'Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie, pour échapper aux hordes djihadistes lancées à leurs trousses par l'armée turque. Images effrayantes d'un exode en tous points semblable à celui de 1940 en France. Sur ces routes de l'exil, ne manquaient même pas les cadavres de civils déchiquetés par les bombardements de l'aviation. Il y en avait partout. En cinq ans aux côtés des Kurdes, je n'avais jamais vu une telle horreur. 
Deux mois plus tôt, l'invasion turque m'avait surpris à Paris mais mes camarades s'étaient aussitôt mis à m'envoyer des centaines de photos et de vidéos attestant les crimes de guerre commis contre eux au cours de leur résistance farouche à cette nouvelle agression : tortures de combattantes capturées, décapitations de prisonniers, massacres d'enfants, exécutions sommaires de paysans, rapts de femmes. La barbarie absolue. De quoi alimenter la crainte d'un nouveau génocide après celui commis contre les Arméniens un siècle plus tôt. Tout cela dans l'indifférence de la communauté internationale. Ou peu s'en faut.
À l'heure où j'écris ces lignes, les Turcs poursuivent impitoyablement le nettoyage ethnique de la région d'Afrin et y installent des milices djihadistes qui n'ont rien à envier à l'État islamique que nous pensions avoir vaincu. Un véritable danger sécuritaire pour la France. Ce n'était pas la peine d'aider militairement les Kurdes à en finir avec Daech pour revenir à la case départ. La situation est si évidente maintenant que le président de la République, Emmanuel Macron, a pris la décision de rompre le silence et a reçu officiellement à l'Élysée une délégation kurde - avec leurs alliés arabes et chrétiens - pour leur signifier qu'ils ne seraient plus seuls désormais. Il a été le seul chef d'État à le faire et il faut souhaiter que son exemple soit suivi partout afin de réparer les fautes morales et politiques que nous avons commises en abandonnant nos alliés, comme si nous ne savions plus distinguer nos amis de nos ennemis."
Écrivain et témoin engagé, Patrice Franceschi défend de longue date la cause kurde.
(in La Vie, 13/04/2018)