"(…) Le coeur du problème, c'est le fait que
les dirigeants démocrates sont des bourgeois, comme vous le suggérez. Ce sont
des avocats, des professeurs d'université, comme moi, des médecins, etc. D'un
côté, ils ont perdu le contact avec la classe ouvrière au centre géographique
et idéologique du pays. De l'autre, ils ont décidé de mener une révolution
culturelle à Hollywood, dans les médias et dans les universités pour changer les
moeurs des Américains. C'est tout un symbole : la gauche a pris Hollywood, mais
la droite a pris Washington. Les Américains sont certes devenus plus tolérants
en matière de moeurs, mais maintenant il y a de plus en plus de règles pour ce
qu'on peut dire. Le politiquement correct a conduit à un climat un peu
stalinien (…)
Barack
Obama avait laissé tomber les questions du Parti. Il aurait pu travailler à sa
reconstruction en mettant en avant le républicanisme. Il ne l'a pas fait. Le
slogan, pendant les premières campagnes, était : « On peut le faire » (« Yes We
Can »). Mais on peut faire quoi, au juste ? De même, après les attaques
racistes meurtrières à Ferguson, il a dit : « Ce n'est pas nous.
» Mais il n'a pas dit qui nous étions... Nous sommes qui, quoi ? Il y
avait chez lui une réticence à dire que nous sommes tous des Américains, que
nous avons des devoirs communs et qu'il faut s'entraider. Il faut donc penser
le républicanisme de l'avenir, notamment des idées économiques. Alors que la
société est devenue très individualiste, il faudrait apprendre à parler de
devoirs civiques. Ce sera le travail difficile d'une génération."
(Extrait d’un entretien paru dans La Vie, 1/11/2018, de Mark Lilla)
Mark Lilla, né en 1956, professeur à l'Université Columbia, à New York.
Il se considère comme un intellectuel de gauche mais est surtout connu pour sa critique féroce du Parti démocrate, qu'il juge à la fois trop néolibéral en matière économique et identitaire sur les questions sociales. Son dernier livre, La Gauche identitaire. L'Amérique en miettes (Stock), a été très mal reçu par d'autres intellectuels de gauche, dans certains milieux LGBT et par le mouvement « Black Lives Matter »
"L'homophobie et la transphobie occupent aussi énormément les candidats démocrates, à l'image de la sénatrice progressiste Elizabeth Warren, du Massachusetts, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles pour 2020. Par le passé, elle a beaucoup oeuvré en faveur d'une politique sociale plus égalitaire et une politique fiscale qui ne soit pas d'inspiration néolibérale ; désormais, elle met plutôt en avant son agenda pro-choice et « identitaire », comme dirait l'universitaire Mark Lilla. Ces dernières semaines, elle a ainsi provoqué un véritable buzz médiatique en publiant les résultats d'un test génétique « prouvant » qu'elle avait des ancêtres amérindiens, comme elle l'avait revendiqué – soulignant ainsi l'importance, en 2018, pour une personnalité politique de prouver scientifiquement qu'elle a des racines ethniques non blanches."
(Henrik Lindell, in La Vie, 1/11/2018)