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jeudi 10 novembre 2016

Paul Ricœur, Jacques Ellul et le pape François contre le Moloch Technologique

Paul Ricœur, «Prévision économique et choix éthique», (in Esprit, Paris 1966) :

Il ne faut pas séparer le progrès technique du mécontentement et de la révolte, dont notre littérature et nos arts portent témoignage. Comprendre notre temps, c’est mettre ensemble, en prise directe, les deux phénomènes : le progrès de la rationalité et ce que j’appellerais volontiers le recul du sens. [...] Nous touchons ici au caractère d’insignifiance qui s’attache à un projet simplement instrumental. En entrant dans le monde de la planification et de la prospective, nous développons une intelligence des moyens, une intelligence de l’instrumentalité – c’est vraiment là qu’il y a progrès – mais en même temps, nous assistons à une sorte d’effacement, de dissolution des buts. L’absence croissante de buts dans une société qui augmente ses moyens est certainement la source profonde de notre mécontentement. Au moment où prolifèrent le maniable et le disponible, à mesure que sont satisfaits les besoins élémentaires de nourriture, de logement, de loisir, nous entrons dans un monde du caprice, de l’arbitraire, dans ce que j’appellerais volontiers le monde du geste quelconque. Nous découvrons que ce dont manquent le plus les hommes, c’est de justice, certes, d’amour sûrement, mais plus encore de signification. L’insignifiance du travail, l’insignifiance du loisir, l’insignifiance de la sexualité, voilà les problèmes sur lesquels nous débouchons (…)

Se soustraire à la fascination de la puissance, habiter ce monde sans le dominer, renouer une relation fraternelle aux êtres dans une sorte d’amitié franciscaine pour la création, retrouver le gracieux, le gracié, l’imprévu, l’inouï ; c’est ici que la communion des saints prend son sens.

(Extrait d'un article de la revue Choisir : https://www.choisir.ch)